Le roman de Karim Kherbouche, Akken i sent-yehwa i tullas, est désormais disponible aux éditions Tira. Une belle love story, très dynamique et envoûtante, d’un jeune journaliste et d’une militante de la cause féminine. C’est à la fois un roman psychologique et politique, mettant en évidence le caractère profondément humain de ces deux personnages et le monde de liberté dont ils rêvent. L’auteur a bien voulu répondre à nos questions.
La Cité : Votre roman vient de sortir chez les éditions Tira, pourriez-vous le présenter ?
Karim Kherbouche : Je souligne, d’abord, que ce n’est pas une autobiographie bien qu’écrit à la première personne du singulier. Il se veut un roman d’analyse ou psychologique puisqu’il s’attache à mettre en évidence et analyse les caractères et les états d’esprit des personnages. Son héros, Menad, n'est pas un type déterminé et figé, mais un être en devenir portant l'empreinte de ses expériences et ses pensées. L’intrigue de l’histoire est fondée sur cette évolution et sur l’oscillation entre liberté et libertinage qui a caractérisé la vie de ce jeune journaliste militant.
Bien évidemment, cet état de fait impacte la trame du roman et l’amour ne se présente plus comme un alibi ou une ruse littéraire utilisée dans un but socio-éducatif (comme l’implication des lecteurs dans un processus réflexif quelconque) ou esthétique mais comme un événement majeur qui va être l’instigateur d’un changement au niveau comportemental et cognitif chez les deux amoureux dans leur interaction et dans leur espace de l’entre-deux. Le « je » vise ici à faire du lecteur un co-auteur, et ce en le mettant dans un univers ouvert lui laissant des espaces de liberté pour la construction de sa propre pensée.
-Votre roman est-il actuellement disponible chez tous les libraires ?
-Il est édité, il y a quelques jours, et est déjà disponible chez bon nombre de libraires en Kabylie. Les autres libraires du pays seront pourvus dans les jours à venir. Je tiens à ce titre à exprimer mon soutien et ma gratitude pour Tira qui fait un travail inédit et formidable dans le domaine de l’édition en et sur tamazight. C’est pour moi un exemple à méditer pour faire avancer tamazight et, du coup, éviter un militantisme anachronique et résiduel qui démobilise et désenchante les masses.
-Vous êtes l’auteur de « Communiquer en français », sorti chez l’Odyssée en 2010, pourquoi le choix d’écrire en tamazight ce roman ?
-Pour être honnête, les notes qui ont servi à construire ce roman, je les ai écrites en français. C’est quand je me suis mis à le rédiger « au propre » que je me suis retrouvé en train de l’écrire en tamazight ! (rire) C’est venu spontanément, j’avais envie de m’exprimer en tamazight parce qu’il y a des choses que je ne peux exprimer fidèlement que dans ma langue maternelle. Ce n’est qu’en écrivant en kabyle que l’on peut appréhender, dans toute sa splendeur, la souffrance qu’exprime implicitement ces paroles de Jean Amrouche: « Je pense et j’écris en français, mais je pleure en kabyle ».
En écrivant dans ma langue maternelle, je n’ai besoin d’aucun intermédiaire pour exprimer mes pensées ou mes sentiments profonds. Je ne m’encombre d’aucune contrainte formelle inutile. Et ma seule communauté de référence demeure le lecteur amazighophone, aux aspirations duquel je tente de répondre.
-Vous êtes-vous contenté du vocabulaire kabyle courant ou avez-vous recouru aux néologismes pour écrire ce roman ?
-C’est une question pertinente ! L’histoire de ce roman se déroule à Alger et la ville est l’espace où, dans toutes les langues, prolifèrent les néologismes. Cependant, les années d’expérience dans l’enseignement de tamazight m’ont appris à faire preuve de modération et d’une certaine prudence dans l’utilisation des néologismes. Je présume que mon roman est accessible à tout kabylophone sachant déchiffrer les lettres latines utilisées pour transcrire tamazight.
Par ailleurs, « la langue appartient à celui qui la viole, pas à celui qui la caresse », comme le dit si bien Kateb Yacine. Nous parlons tous, en tant que kabyles, une seule et même langue mais chacun dispose de son idiolecte et d’une vision du monde plus ou moins différente de celle de ses compatriotes. Dans chaque roman, on retrouve donc une touche propre à son auteur. Un autre avantage : en tamazight, on écrit sans se poser s’interroger si ça se dit comme cela ou pas quand on veut utiliser un mot ou une phrase ; on est l’académie de soi-même. On ressent une grande liberté en se disant que c’est ma langue et j’en fais ce que je veux !
-Qu’avez-vous à dire pour conclure ?
-Le premier roman d’expression amazighe que j’ai lu est Id d Wass d’Amar Mezdad. Je me suis alors demandé si ce chef-d’œuvre de littérature amazighe était écrit dans une langue autre que la langue dans laquelle il est ressenti et pensé. J’imagine tout le travestissement qu’il aurait subi. J’étais, à cette époque, étudiant à l’université de Béjaia et cela a totalement bouleversé ma pensé.
Propos recueillis par Hacène Zidi. LA CITÉ DU 06/03/16
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