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mehenni_ferhat.jpgMalgré une foison d’articles de presse écrits sur des chanteuses et des chanteurs kabyles qui ont fait l’actualité artistique à un moment ou à un autre depuis le début des années 70, il n’y a pas de livre, à proprement parler, consacré à la chanson kabyle. Même des publications sur des artistes donnés sont assez rares. Aussi, personne ne s’est encore aventuré à se demander quel est, ou quels sont les rôles que joue la chanson kabyle dans sa société.

Il n’y a d’étude ni sur sa sociologie musicale, sur sa typologie, sur ses influences, ni enfin sur sa variété thématique, orchestrale ou stylistique. Bien sûr, il serait prétentieux de ma part de combler cet énorme vide par cette modeste contribution qui se limite à quelques aspects singuliers de la chanson dans notre société. Cette tentative est au maximum une goutte de pluie dans ce désert éditorial. Personnellement, sans être un musicologue ni, non plus un profane, je peux dire que c’est là une affaire qui relève avant tout de la recherche scientifique et universitaire. Malheureusement, celle-ci a besoin de fonds que la Kabylie qui n’a pas d’Etat ne peut encore lui offrir. Pour le moment, tout repose sur l’irremplaçable Professeur Salem Chaker qui dirige, avec brio mais de modestes moyens, la chaire de berbère à l’Inalco (Paris).

La chanson kabyle, pour la définir, est plus qu’une chanson. Elle n’est pas un genre musical à classer parmi tant d’autres comme par exemple la variété, la soul ou le reggae. Elle contient en elle-même tellement de genres qu’on ne peut la confiner dans l’un d’entre eux sans la mutiler. Elle est l’expression de son peuple, elle en est sa respiration. Ce sont les rôles qu’elle joue dans sa société qui lui valent d’être aussi vitale pour les siens. D’entrée en scène relativement récente, c’est à Chikh Nordine que nous devons son apparition sur la radio kabyle qui émet d’Alger depuis 1947. Elle est Issue de six traditions musicales que l’on peut énumérer comme suit :
1- celle des imeddahen, ces fous itinérants qui chantaient de village en village pour remercier ceux qui leur donnaient un peu de nourriture et que personne ne prenait au sérieux si l’on en juge par la réputation qui leur a survécu.
2- Celle des paysans qui, durant la tiwizi (travaux des champs d’entraide collectifs), entonnaient ensemble des mélopées pour tromper leur fatigue et se donner du courage jusqu’à terminer leur travail avant la tombée de la nuit.
3- La tradition des femmes chantant des berceuses, des izlan (chants collectifs de femmes célébrant un mariage ou une circoncision) ou des airs dansants dans l’urar.
4- Les Idebbalen, ces quatuors de deux percussions et de deux ghita des bals dansants célébrant des mariages et des circoncisions.
5- La tradition des groupes de bergers kabyles, particulièrement des jeunes adolescents jouant de la flûte et chantant des textes à l’accent un peu grivois.
Bien entendu, la chanson kabyle n’en serait pas une s’il n’y avait la poésie. La force du verbe participe de la qualité de l’œuvre à laquelle celui-ci donne du sens.
6- Il y a enfin la tradition des chants collectifs funèbres, ou adekker.

Ait menguellet et Ferhat Imazighen Imula, deux maquisards dLa chanson kabyle est en soi un phénomène révolutionnaire. Elle participe de la libération de son peuple des carcans idéologiques et politiques dont il est prisonnier. A son corps défendant la plupart du temps. En effet, malgré des chanteurs ancrés dans la tradition et le fatalisme religieux, elle a été un vecteur important d’évolution des mentalités. Elle a commencé par casser le tabou tel que le fait de chanter, puis elle s’est emparée de ce que l’on appelle communément « la chose politique ». Faut-il le rappeler, il y a moins d’un siècle, chanter était encore honteux pour tout homme digne de ce nom. Chanter était le fait de parias, de fous ou de niais qui déshonoraient leurs proches. Chikh Nordin, le premier à s’y être aventuré, était renié par son père pour avoir commis le crime de devenir un chanteur. Quant aux femmes, même s’il leur était permis de s’adonner au chant pour faire dormir les bébés, et on les entendait depuis les ruelles du village, même si elles étaient autorisées à chanter en groupe lors des fêtes, il était inadmissible que l’une d’elle se produise dans un spectacle ou à la radio. Cherifa, par exemple, toujours vivante, a été excommuniée de sa famille et de son village lorsqu’elle avait osé, au milieu des années cinquante, chanter « Vqa âlaxir ay Aqvu ». Avant de devenir la Diva de nos jours, n’oublions pas qu’elle a été pendant des années femme de ménage à Alger où elle s’était réfugiée pour échapper à son lynchage par sa famille et ce, malgré son succès et sa renommée. Hnifa, pour avoir défié l’interdit communautaire, était répudiée et n’avait pu se remarier. L’émergence de chanteurs et de chanteuses en Kabylie a généré une évolution de la société dans le sens de plus de tolérance et de moins de rigorisme dans les traditions et les pratiques religieuses.
ferhat2.JPGElle est révolutionnaire en ce qu’elle met sur un même pied d’égalité l’homme et la femme qui chantent. La chanson est un domaine où s’apprécie le talent et se mérite la valeur de l’artiste indépendamment du fait qu’il soit un homme ou une femme. Nouara de ce point de vue est sur un piédestal que lui envient bien des chanteurs de sa génération ou beaucoup plus jeunes qu’elle.
Ensuite, elle s’est voulue éveilleuse des consciences et revendicatrice sur le plan politique. C’est la chanson tract. « Ffegh ay ajrad tamurt-iw » de Slimane Azem est la première pierre angulaire de la chanson politique et son auteur le père fondateur du genre. Bien sûr, il y avait avant lui des chants patriotiques véhiculés par les militants du PPA-MTLD, à travers le mouvement scout de Laïmeche Ali, mais ce n’était pas encore de la chanson et Laïmeche en personne est mort en 1946, une année avant l’avènement de celle-ci.

L’apparition de la radio est à la Kabylie ce que fut pour l’Europe l’invention de Gutenberg : une révolution. La chanson en est ainsi, pour nous, le livre dont nous a privés l’Histoire. L’accumulation des savoirs et la transmission de la mémoire et du patrimoine immatériel étaient jusque là aléatoires dans une société à tradition orale. Ce n’est que depuis l’émergence de la chanson que nous pouvons revenir sur nos pas en nous basant sur des archives issues de cette écriture orale qui, pour ne rien gâcher, est enjolivée par une esthétique autant des sonorités musicales, des jeux de rimes et des métaphores que de l’expression vocale. En devenant un livre, elle devient une mémoire. Quelle belle fresque sociologique que dressait Chikh El-Hasnaoui, au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale sur l’exode des hommes kabyles vers la France à la fin des années 40, début des années cinquante dans la chanson « Maison Blanche » du nom de l’aéroport d’Alger d’avant l’indépendance du pays. La réplique lui est donnée par un autre tableau peint cette fois par Kamal Hamadi dans « Redlegh-d lheq n rrekva » en 1969 au moment où une nouvelle ruée (toujours masculine) vers la France s’était produite. On peut classer la chanson d’Oulahlou « Azul a Lpari » parue en 2004 dans le même registre qui prolonge le phénomène migratoire avec la situation des « Sans-papiers kabyles » d’aujourd’hui.

Sur le plan des idées, le plus novateur des chanteurs n’eut pas le succès escompté en son temps. Cherif Kheddam qui aujourd’hui est consacré dans toute la splendeur de son œuvre, était réputé, alors, être en avance sur son temps. Autant par ses apports harmoniques, ses courbes mélodiques que par quelques uns de ses thèmes. Ainsi, chanter les droits de la femme comme il l’avait fait en 1961 (« d acu d lehjav n therrit ») ou, trois années plus tard, contre l’obscurantisme religieux (« W ivghan yelli-s ad-t iâuzz ») était une prise de risque important sur le plan de sa popularité. Seule une infime partie des élites le suivait, davantage pour ses mélodies ciselées que pour ses textes.
Cependant, étant donné l’état des croyances, des structures sociales, du niveau d’instruction et de développement de l’époque, il y avait plus de chanteurs aux textes conservateurs, c’est-à-dire empreints de religion et d’idées allant à l’encontre de la liberté de la femme, que d’auteurs ayant une propension à la modernité. De nos jours, ce distinguo s’est déplacé sur le terrain politique où les faits et gestes de chaque chanteur sont analysés avec ses textes en fonction de son attitude vis-à-vis du pouvoir algérien. Remarquons qu’il était plus facile de couler un discours conservateur dans la société kabyle d’hier que de soutenir un pouvoir assassin dans celle d’aujourd’hui.
ferhat1.jpgEn accueillant la génération de chanteurs des années 70-80 la chanson kabyle s’est, pour la première fois, enrichie d’éléments universitaires qui lui imposent une évolution musicale (apparition de la chanson moderne), thématique et linguistique inédite. Des groupes de musique sont apparus et le combat politique et identitaire amazigh est assumé et revendiqué au grand jour. Evidemment, la politique n’était pas tout à fait absente dans la tradition de leurs aînés. Non ! Les chanteurs expriment la philosophie, la vision du monde et les problèmes majeurs de leur temps. Pourtant, dans les années cinquante, durant la guerre d’Algérie, en dehors de Slimane Azem dont les textes insinuaient des prises de position politique d’abord en faveur de la lutte armée pour l’indépendance, ensuite contre elle, il n’y a pas trace d’un engagement de la chanson en dehors de Allaoua Zerrouki qui avait pleuré dès 1959 la mort, les armes à la main, du légendaire chef de guerre kabyle, le colonel Amirouche dans « Ay akal ur tettgheyyir » ou les orphelins de guerre avec « Ya rebb lehnin ». C’est au lendemain du cessez-le-feu de mars 1962 qu’une chanson patriotique se développa. Ainsi, Farid Ali, avec « A yemma Âzizen ur ttru », Taleb Rabah dans « ttrunt wallen-iw » ou « Ma tecfam ay igudar », Cherif Kheddam entonnant « Leghna ya I watmaten », Kamal Hamadi et Nora chantant « Amirouche », Medjahed Mohammed dans « Tamurt nnegh tura tehya », Djamila interprétant « tamurt n Lzzayer » et enfin, Mohand Said Oubelaid lançant « Avehri siwed asen slam ». Comme de septembre 1963 à mars 1965 la Kabylie était en rébellion armée contre le pouvoir algérien fraîchement installé, ce fut de nouveau le silence. C’est Slimane Azem, exilé en France et considéré comme traître à sa patrie pour ses prises de position contre le FLN vers la fin des années cinquante dans « Inas i leflani » qui reprit le flambeau en chantant des fables adaptées ou créées par lui pour ironiser sur les nouveaux dictateurs ou pour conseiller aux Kabyles la voie de leur union. Sinon durant les années cinquante soixante il y avait trois thèmes dominants. Le premier d’entre eux est universel : l’amour. Celui-ci était chanté avec des images des fois osées comme « yeqqes iyi wezrem » de Bahia Farah ou des textes tendres comme « annagh a Muhend a mmi », Ahcene Mezzani dans « Yelli-s n lghurva » ou encore avec beaucoup de fraîcheur et de modernité thématique comme « Yidem, yidem » de Kamal Hamadi, « Nadia » de cherif Kheddam, « Inas i Mlaâyun Tawes » d’Oukil Amar, « A Louiza » d’Akli Yahiaten ou encore la très belle chanson « Aygher ini-d aygher » de Youcef Abdjaoui…Il serait fastidieux de tout énumérer ici.
Le deuxième thème est celui de l’émigration, synonyme d’exil et de séparation douloureuse avec la femme aimée. Si ce thème est resté longtemps récurrent dans cette chanson c’est à cause de l’importance du phénomène dans la société kabyle. Il n’y avait pas de famille qui n’avait pas, au moins, un homme émigré en France ayant laissé femme et enfants dans son village vers lesquels il retourne pour un mois, l’été de chaque année. On en parle moins dans la chanson d’aujourd’hui. Ceci n’est pas dû à la résorption du flux migratoire kabyle vers la France. Au contraire, il s’est amplifié comme il ne l’a jamais été. Cette évacuation de l’actualité chantée est motivée par au moins deux facteurs :
1- La société kabyle a hiérarchisé ses priorités d’où l’émigration est évacuée.
2- D’une émigration exclusivement masculine et insupportable qui était la règle jusqu’au début des années 70 on est passé à une émigration familiale et rêvée qui allie confort, intégration et richesse et qui s’est généralisée depuis la politique dite de « regroupement familial ». Le Malheur a dès lors changé de camp. Aujourd’hui, ceux qui sont à plaindre sont davantage ceux qui sont restés au pays que ceux qui sont en France ou dans l’ensemble du monde occidental. L’Algérie ayant fait leur malheur politique, économique et culturel, s’en aller pour les Kabyles est une libération.
Enfin, le troisième thème des premières décennies de notre chanson était la religion dont la philosophie est fondée sur le fatalisme du destin et l’incitation à avoir le courage de vivre une vie d’endurance et d’éternelles épreuves pendant lesquelles il ne faut jamais faire confiance à une personne. C’est toute la mentalité de l’époque, sa vision du monde et ses réflexes. La soumission et la résignation au sort qui nous est fait par Dieu étaient préférables à la rébellion. Malgré cette conception réactionnaire et conservatrice des choses exprimée particulièrement à partir de la France, la Kabylie s’était engagée massivement dans la violence armée pour l’indépendance de l’Algérie. On peut en déduire qu’il n’y avait pas encore de réelle connexion entre la société et sa chanson exilée. Il faut se rappeler que notre chanson était d’une part encore trop jeune, elle avait à peine une dizaine d’année, et d’autre part, pas encore suffisamment introduite dans les foyers, donc la société aussi. Ils se comptaient sur les doigts les Kabyles qui avaient un poste transistors pour capter la radio. Je me souviens qu’à l’indépendance, il n’y avait qu’une seule personne, dans tout mon village, qui en avait un. Il l’allumait à la Tajmaât du matin au soir pour que nous puissions tous en profiter. D’ailleurs depuis que le contact est, à partir des années soixante, bien établi entre la chanson et sa société, tout en fournissant des indices aux créateurs pour exprimer ses aspirations, celle-ci a davantage écouté celle-là. La chanson est devenue à la fois son exutoire, sa plate-forme de revendications et le miroir de ses états d’âme. La société et sa chanson se sont épousées. Elles se font mutuellement confiance malgré les conflits de personnes et les différences de sons de cloche existant entre les artistes.

A partir des années soixante dix, la chanson a pris la Kabylie par la main pour lui faire traverser le temps à pas de géant. En trois décennies, elle lui a fait traverser le moyen-âge. La tradition philosophique aussi sage que confuse des années cinquante de Slimane Azem, prolongée par Taleb Rabah dans les années soixante, explose avec Ait Menguellet à partir des années Quatre-vingts. La révolution politique introduite par le même Slimane Azem, alliée à la modernité musicale et thématique d’un Cherif Kheddam trouve sa plus belle expression et son raffinement dans ce que l’on appelle la chanson « moderne » qui est un genre nommé par opposition au « traditionnel ». La différence entre les deux réside dans autant la forme orchestrale, le phrasé musical que les thèmes. Une chanson traditionnelle est décomposée en deux parties distinctes, le prélude appelé l’acewwiq ou l’istikhbar et le corps de la chanson avec refrain et couplets exécutés alternativement par un orchestre jouant à l’unisson et la voix. La chanson moderne dont les éléments ont été pour la plupart introduits dans une chanson intermédiaire ayant pour base le genre traditionnel s’identifie à la guitare exécutant des accords arpégés ou d’accompagnement. Pour illustrer on ne peut mieux cette différence, il y a lieu d’écouter par exemple « Tettru Ldjuher g laâwacar » de Chikh Nordin et « Vava Inuva » d’Idir. C’est cette chanson moderne qui va faire évoluer le plus la langue, les idées et les comportements Kabyles. Jusque dans les années soixante, un Kabyle s’exprimant dans sa langue a une considération des siens proportionnelle au taux de termes arabes qu’il insère dans son discours. Grâce au travail de cette chanson centrée sur la revendication identitaire et culturelle amazighe, nous en sommes arrivés à l’exact contraire de cette posture. Ils sont rares ceux qui ne disent pas de nos jours « azul » au lieu de « salam Alikoum », « tanemmirt » au lieu de « sahhit » « tugdut » pour démocratie ou « agdud » pour peuple… naguère méconnus par nos parents. Ils sont aussi rares ceux qui ne donnent pas de prénoms amazighs à leurs enfants alors qu’au lendemain de l’indépendance c’étaient particulièrement des prénoms arabes qui étaient prisés par l’écrasante majorité des Kabyles.
Après une fournée de chanteurs ayant modernisé le rapport à l’amour au sens universel et noble du terme vers la fin des années soixante avec notamment Atmani, Ait Menguellet, Mouloud Habib et Slimani, la chanson moderne a introduit dans la société le débat idéologique et politique. C’est par elle que l’on s’est réapproprié le combat pour la liberté et la démocratie. C’est ainsi qu’elle a été réprimée et censurée dans les années 70 80 par la dictature algérienne. A travers cette chanson c’est son rôle d’affirmation de l’identité kabyle, de sa démonstration à son insu de l’existence en soi du peuple kabyle, dont elle est l’expression et la preuve, qui sont visés. Les chanteuses et les chanteurs sont devenus des porte-drapeaux de la Kabylie et le pouvoir algérien qui en a la hantise use de tous les ressorts dont il dispose pour la réduire. Après avoir financé à coups de milliards l’émergence du raï pour contrer l’attrait de la chanson kabyle, traditionnelle ou moderne, le pouvoir tente de tuer les symboles de celle-ci, physiquement comme Matoub Lounes, ou politiquement comme Ait Menguellet. Les tenants du régime, conscients de l’importance du rôle de la chanson dans la marche du peuple kabyle œuvrent sans relâche à en récupérer des éléments qu’il instrumentalise contre les leurs. Lorsque le citoyen voit régulièrement sur les écrans de la télévision algérienne un chanteur ou une chanteuse kabyle, il devine de lui-même qu’il s’agit là soit d’une manipulation soit d’une récupération politique.
Malgré ces quelques retournements, la promotion des artistes kabyles contre la Kabylie est une arme à double tranchant puisque de toutes les façons, même humiliée, c’est toujours la Kabylie qu’il déteste que le pouvoir met en avant à travers eux.

Les nostalgiques de la période des années 70-80 se montrent souvent critiques vis-à-vis de la jeune génération de chanteurs d’aujourd’hui. Notre jeunesse a aussi besoin de vivre son temps et de chanter selon ses tempéraments et ses goûts. Malgré la légèreté qui caractérise ses textes et ses rythmes, il ne faut jamais perdre de vue que les Allaoua, Massi, Guerbas, Alilou livrent une bataille gigantesque contre l’aliénation de notre société dans et par le raï sponsorisé par les autorités algériennes. Grâce à eux, nous pouvons vivre nos fêtes en kabyle.

A l’étranger, dans l’émigration la chanson kabyle est le lien entre les différents membres de la communauté. Elle est le vecteur de leur unité et leur passeport identitaire, linguistique et culturel. C’est un formidable facteur de conservation de leur langue et de leur culture dans leurs pays d’accueil. Elle y entretient la mémoire des origines et la fierté d’appartenir à un peuple, une identité et une culture kabyles que chacun a le devoir de perpétuer.

Enfin, même consommée par des étrangers elle se défend d’être exotique, elle se veut, avant tout, ambassadrice de la Kabylie et de son peuple martyrs. Y compris dans ses textes d’amour, ses rythmes de fête ou ses complaintes de douleur, elle est politique. Parce qu’une langue est politique, l’existence d’un peuple est politique, la chanson qui en est issue ne peut être à son tour que politique.

La chanson kabyle porte en son sein autant la tradition que la modernité symbolisées par l’existence de deux principaux genres (le traditionnel et le moderne) qui, durant longtemps suivaient des voies parallèles avant de se rejoindre ces derniers temps autant dans le mode orchestral que leurs compositions. Aujourd’hui, il y a une tendance à leur symbiose à l’image de toute la société kabyle qui assume aussi bien son enracinement dans son passé, son immersion dans un monde de modernité que sa projection dans un avenir de souveraineté et de mondialisation. Elle préserve le précieux héritage linguistique et culturel ancestral tout en le moulant dans les valeurs sacrées et universelles de l’humanité. C’est là, me semble-t-il, la voi(e)x du cœur et de la raison ; c’est là un gage de pérennité et de paix dans la liberté, c’est là également le fil conducteur vers la justice et la démocratie, l’épanouissement et le confort moral et matériel du peuple kabyle.

Ferhat Mehenni, chanteur,

éminent homme politique algérien,

leader du Mouvement pour l'Autonomie de la kABYLIE

Chanson kabyle en France
Tag(s) : #Opinion
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