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fille.jpgLe mariage constitue pour les jeunes une composante clé de leur passage vers l’âge adulte. De nos jours, la plupart des jeunes hommes se marient plus tard que leurs aînés et ont plus de liberté dans le choix de leurs épouses. En revanche, bon nombre de jeunes filles se marient avant leur dix-neuvième anniversaire. Si pour certaines ce mariage est forcé –et ça existe encore malheureusement-, dans la plupart des cas, il est accompli de leur plein gré et, parfois même, contre la volonté des parents. Enquête dans la wilaya de Béjaia.

     

Aujourd’hui, je t’aime ; demain, je ne sais pas

jeune fille

L’âge légal du mariage est fixé en Algérie à 19 ans, mais des dérogations peuvent être accordées à des personnes mineures. Dans beaucoup de cas, cela se fait avec le consentement de la jeune fille. «Je trouve cette loi pénalisante dans la mesure où elle nous fait perdre un temps fou. Pour moi, je suis amoureuse d’un jeune homme et je veux l’épouser, pourquoi m’en empêche-t-on? Je suis assez consciente pour gérer ma vie comme je l’entends. Mes parents étaient au début farouchement opposé à mon mariage vu que je n’avais que 16 ans. Au bout d’un certain temps, j’ai réussi à les convaincre. Il reste cette dérogation que je n’arrive toujours pas à obtenir ! » déplore Nadia, 17 ans, élève au lycée Hafsa d’Akbou. Nous avons voulu savoir si le mariage ne compromettrait pas ses études, la jeune demoiselle tout feu tout flamme, nous dit : « Je me marie avec l’homme de mes rêves et point c’est tout ! Quand à autre chose, c’est le maktoub».

Parmi les jeunes filles que nous avons approchées à travers diverses localités de la wilaya de Béjaia, elles sont plusieurs à partager l’avis et le rêve de Nadia. Mais nombreuses aussi sont celles qui sont conscientes de la nécessité de construire d’abord leur avenir. C’est le cas de Djohra, élève en 2AS au même lycée. Elle déclare que « le mariage n’est pas une fin en soi. L’avenir est un tout et le mariage, très important certes dans la vie d’une personne, mais ce n’en est qu’un élément de ce tout. A notre âge, il faudrait donc penser à préparer cet avenir plutôt que de s’acharner en vain à l’anticiper. Pour moi, ma priorité, c’est mes études aujourd’hui, l’idée du mariage ne m’a jamais effleuré l’esprit ».

Maître B. Lila, avocat, nous dit avoir traité des affaires de ce genre et elle révèle que trop peu de mariages précoces résistent au temps. La plupart vont droit dans le mur avant de finir lamentablement par le divorce. « La plupart des jeunes filles qui décident de se marier le font par amour ou bien par peur de rester célibataire eu égard au nombre effarant de femmes célibataires », dit-il avant d’ajouter : « Mais comme dit le proverbe : l’amour est aveugle, l’amour lui ouvrent les yeux. Ceci s’applique notamment quand on n’a pas atteint l’âge de lucidité ».        

Docteur B., psychiatre à Akbou, explique que «généralement, il y a aujourd’hui plus de divorces qu’avant pour des raisons multiples dont la recherche sans cesse de l’épanouissement personnel et sexuel des couples modernes. A cela s’ajoute le fait que quand on est adolescent(e),  on n’est pas assez lucide pour prendre une si importante décision qu’est le mariage. On est susceptible de changer à tout moment». Et de poursuivre : « Même s’il est clair que les victimes de mariage précoce et/ou forcé sont nombreuses, il n’est pas du tout aisé de les faire parler car c’est tabou, ce qui rends difficile une vision fiable et exhaustive de ce phénomène dans notre société ».

D’autres médecins nous ont également affirmés que les mariages précoces peuvent avoir des retombées négatives sur la santé des jeunes filles. Elles sont surtout plus vulnérables dans le cadre de grossesses précoces.      

 

 

Je ne veux pas l’épouser papa !

Même s’il est en déclin, le mariage forcé n’appartient pas définitivement au passé. Il se poursuit encore dans des familles, notamment en milieu rural et bien des filles en sont victimes (lire le témoignage accablant de Massiva). Les vieilles traditions archaïques continuent d’être respectées en dépit des ravages qu’elles ont engendrés. Comme au bon vieux temps, on marie encore ses filles à qui on veut dans le but d'organiser la transmission de la propriété et de la richesse au sein des familles, renforcer les liens dans ou entre les communautés. A ces us viennent s’incruster la pauvreté (l’incapacité des parents à prendre en charge leur progéniture), les craintes des parents quant aux relations sexuelles et les grossesses hors mariage.

Pour certaines de ces enfants épouses, le mariage signifie l’isolement social puisqu’elles abandonnent leur famille, leurs amies, leur village natal, etc. « Chez nous, on utilise le même verbe pour dire acheter et épouser. « Yough » veut dire en kabyle à la fois « il a épousé » et « il a acheté ». Alors, ça veut tout dire ! » ironise Youcef de Sidi-Aich qui dit ne voir sa sœur, mariée à un homme habitant un village lointain, qu’à l’occasion de l’Aid Tamoqrant parce que chez nous c’est une tradition de rendre visite à ses filles et sœurs mariées à l’occasion de cette fête religieuse.              

 

Autre temps, autre mœurs

Nous avons peiné à obtenir des données chiffrées écrites sur le sujet auprès des administrations concernées. Les taux de mariages des moins de 19 ans avancé verbalement par des responsables des communes de la wilaya de Béjaia (Akbou, Sidi Aich, Ouzellaguen, Ighil Ali, …) varie entre 3 à 5 pour cent.

Si l’on prend en considération seulement le mariage des femmes, ce taux serait sans l’ombre d’un doute beaucoup plus grand. D’où la nécessité d’agir et vite. La solution au problème ne peut venir que de l’éducation. Les parents doivent être sensibilisés sur la nécessité de garder leur fille à l’école, ce qui permettra son développement complet et le report du mariage. Quant aux filles déjà mariées, on doit penser à mettre en place des services afin de les conseiller sur les questions importantes inhérentes notamment à leur santé. Il existe encore aujourd’hui des filles et des femmes qui accouchent sans avoir eu recours à une clinique prénatale ou à une sage femme professionnelle, ce qui peut entraîner des suites graves sur leur santé.     

Enfin, il faut dire qu’il y a aujourd’hui une évolution dans la manière dont les hommes et les femmes perçoivent leurs rôles et, donc, tout un chacun est appelé à s’adapter dans ce monde où les droits des femmes bénéficient de plus en plus de soutien. 

Enquête de Karim KHERBOUCHE

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Tag(s) : #Reportage- Enquête
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