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Matoub avec le Dalaï LamaLes treize années qui nous séparent de la disparition tragique de Matoub Lounès, victime d’un lâche attentat non élucidé à ce jour, n’ont altéré en rien l’aura et la popularité de ce prodigieux artiste, à l’avant-garde de tous les combats démocratiques et identitaires.

Des milliers de personnes, parmi lesquelles de nombreux jeunes universitaires, continuent aujourd’hui à perpétuer à travers des actions et luttes multiformes les idéaux portés par celui qu’ils continuent de nommer affectueusement «Le rebelle». Dans un pays où les symboles mobilisateurs sont tombés en désuétude, la référence à cet artiste d’exception capable de fédérer les grandes foules lorsqu’il s’agit de lutter contre l’injustice, de mener des combats émancipateurs en faveur des femmes ou de barrer la route à l’intégrisme religieux est, à l’évidence, salvatrice pour une jeunesse en mal de repères.

Ses chansons, qui combinent merveilleusement la beauté de la mélodie et la poésie engagée, continuent aujourd’hui à être diffusées dans certains campus universitaires à l’occasion des grands mouvements de contestation et, souvent même, lors des manifestations à caractère politique et syndical qui se déroulent en Kabylie, Boumerdès et Alger. Son parcours exceptionnel de poète et chanteur de génie, ayant légué à la postérité près d’un millier d’œuvres immortelles, sa vie tumultueuse ponctuée par plusieurs tentatives d’assassinats contre sa personne, les affres de la prison subies en raison de son combat identitaire, sa traumatisante séquestration par un groupe islamiste et le soutien populaire massif dont il a toujours bénéficié chaque fois qu’il s’est trouvé en difficulté, aussi bien avec le pouvoir qu’avec les intégristes, en ont fait un artiste d’exception tel qu’on trouve aujourd’hui dans certaines publications littéraires des comparaisons avec des poètes universels comme Frédérico Garcia Lorca et Boris Vian. En France, en Belgique et au Canada, apprend-on, certains chercheurs auraient même commencé à plancher sur son œuvre et ses divers combats pour l’émancipation et la démocratie. Dans son riche répertoire, Matoub a chanté l’amour, la situation de la femme algérienne, l’émigration, les luttes pour la liberté et l’émancipation des peuples.

Matoub avec Madame MittérandIl supportait, en effet, très mal l’injustice, la dictature et l’intégrisme et ne se gênait pas pour le clamer haut et fort à travers de nombreuses et emblématiques chansons qui lui ont valu de féroces inimitiés de la part du pouvoir et des islamistes qui les lui ont, du reste, très violemment exprimées (grièvement blessé par le tir d’un gendarme, emprisonnement, enlèvement-séquestration par un groupe islamiste, assassinat). Un travail de sape avait également été engagé contre lui pour le discréditer auprès de la population, en lui collant, notamment, les étiquettes de séparatiste et de personnage moralement dépravé par des excès de toutes sortes, ce qui est évidemment faux, ce dernier revendiquant haut et fort à travers ses œuvres et, notamment, son livre Le Rebelle, publié en 1994, dans lequel il écrivait on ne peut plus clairement : «Il y a encore peu de temps, je limitais mon combat à la Kabylie. Je dois apprendre à me battre pour la société algérienne dans son ensemble. Les témoignages venus de partout, de Tlemcen, de Annaba, d’Oran, la chaleur qu’ils dégageaient, les encouragements qu’ils contenaient m’ont fait profondément réfléchir. Ce n’est pas suffisant de se battre seulement pour soi, lorsque le destin d’une nation est en jeu».

Pour atteindre ce large public, Matoub a désacralisé la musique et le texte pour les mettre au goût du plus grand nombre. Il a, pour ce faire, bouleversé le contenu des textes pour leur donner une plus large portée populaire ainsi que son support musical qu’il a davantage rapproché des styles chaâbi, andalou et universel qu’il a du reste fini par parfaitement maîtriser. La chanson kabyle a pu ainsi progressivement sortir du périmètre régional dans lequel elle était cantonnée. De simple rituel local exprimé à l’occasion de fêtes ou de deuils, la chanson est ainsi, petit à petit, devenue un moyen d’expression et de médiation parfois plus redoutable que certains médias, cette dernière étant naturellement relayée par la population, notamment lorsqu’elle adhère au contenu du texte et à la beauté, comme c’est souvent le cas de la mélodie.

matoub- isabelle adjaniCette transformation de la chanson kabyle, en mode d’expression universel à laquelle Matoub, mais également d’autres chanteurs (Idir, Aït Menguelet, Ferhat M’henni, etc.) ont beaucoup contribué aura le mérite de poursuivre et d’amplifier la portée des messages sociopolitiques que certains chanteurs de l’émigration (Slimane Azem, Chikh El Hasnaoui, etc.) avaient tenté d’émettre longtemps avant eux. Il y a, et cela est très largement visible dans les campus des universités de Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira, Boumerdès et certaines facultés d’Alger, un «effet Matoub» perceptible à travers un penchant quasi naturel de très nombreux étudiants pour ses chansons, les discussions fréquentes autour de son parcours de militant, ses courageuses résurrections, et bien entendu autour de son lâche assassinat et du troublant traitement judiciaire réservé à cette très grave affaire qui traîne dans les arcanes de la justice depuis treize ans. Les funérailles du chanteur qui drainèrent, on s’en souvient, des centaines de milliers de personnes et entraînèrent des émeutes ayant duré plusieurs semaines dans plusieurs localités du pays, apportent la preuve, s’il en fallait une, du profond ancrage du «Rebelle» dans la société algérienne. Mais, s’il est indéniable que le décès tragique du poète a effectivement été ressenti comme un terrible choc, force est de constater qu’il n’entrave en rien les combats démocratiques et identitaires dont il fut l’un des principaux fers de lance. Sur le terrain, le mouvement associatif plus que jamais inspiré par le «Rebelle» se relaye continuellement pour faire avancer encore plus les revendications démocratiques et identitaires dont il était le chantre.
  Djamila Fernane. Post-graduante à l’université de Tizi Ouzou

Tag(s) : #Matoub
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