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Plus d’un siècle après sa disparition, Si Mohand Oumhand suscite encore et toujours l’admiration et l’intérêt des enfants de sa région natale, la Kabylie. Des passionnés, tous âges confondus, continuent de l’idolâtrer et à prendre du plaisir à déclamer ses poèmes dès que l’occasion se présente à eux. Les paroles de Si Mohand sont devenues proverbiales dans le langage de tous les jours. Son influence sur les poètes et les chanteurs kabyles contemporains est manifeste. Le poète de la révolte et de l’errance intéresse chercheurs, réalisateurs, gens de lettres, etc.  Portrait d’un poète pas comme les autres.   

 

Un poète sans destination fixe 

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 Rebelle et amoureux des sentiers, des chemins inconnus et des contrées lointaines, c’est ainsi qu’il fut Si Moh Oumhand. N’était-ce pas lui qui disait  dans l’un de ses célèbres poèmes : « J’ai juré de Tizi Ouzou jusqu’à Akfadou que nul ne me fera subir sa loi. Je me briserai mais sans me plier là les chefs sont des maquereaux ; je préfère l’exil à l’humiliation ».

Ces paroles, du reste comme toute sa poésie, sont révélatrices de la conjoncture qui marqua sa vie. En effet, le poète vécut à une époque charnière de l’histoire de l’Algérie. Il naquit entre 1840 et 1945 à Icheraiouen (l’actuelle Larbaa Nath Irathen). Sa mort survint le 28 décembre 1905 à Michelet (l’actuelle Ain El Hammam). Il fut enterré à Asqif N’Tmana. Son enfance fut marquée par la violence coloniale ; il assista à l’arrivée des troupes françaises conduite par le général Randon qui mirent la région à feu et à sang. A la place de son village, les envahisseurs ont construisirent une ville fortifiée appelée Fort National.

Le jeune garçon fréquentait alors l’école coranique dans un petit village voisin. Il cessa ses études de droit musulman en 1871 suite à l’insurrection contre le colonialisme guidée par El Mokrani. Son père fut exécuté, son oncle déporté en Nouvelle-Calédonie et sa famille dispersée.

Le jeune poète se lança alors dans l’errance et la poésie devint son seul et nouveau langage. A ce propos, le grand écrivain Mouloud Feraoun écrit : « Il était pareil à une feuille que le vent emporte et qui ne pourrait se fixer nulle part ailleurs que sur la branche d’où elle a été détachée». Selon des témoignages, son esprit d’indépendance était tel qu’il refusait même de monter dans un train qui était à l’époque le moyen de transport par excellence. Il préférait marcher, marcher et toujours marcher. Sa destination ? Nulle part et partout. La poésie tint place de langage chez lui ;  « il ne parlait pas, il versifiait », dit-on.

 

Dieu fasse que mon poème se répande partout

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Si Mohand Oumhand a laissé un nombre impressionnant de poèmes. Il ne les a jamais écrits et a juré de ne jamais les répéter. Ce sont les gens de son entourage qui les ont sauvés de l’oubli en les mémorisant et c’est grâce à eux qu’ils sont transmis de génération en génération jusqu’à ce qu’ils soient fixés dans des livres par des écrivains, tels Mouloud Mammeri,  Mouloud Feraoun, Boulifa, … Maintenant, il peut se reposer tranquillement car son vœu de voir ses poèmes se répandre partout est bel et bien réalisé. 

L’œuvre de Si Mohand est le miroir de sa vie et de sa pensée. Il a vécu en homme libre jusqu’aux bout des ongles ! Il ne dépendait d’aucune chapelle, dusse-t-elle celle des siens. Sa liberté de ton lui a valu l’image de poète vulgaire chez certains, notamment pour ses poèmes évoquant, dans des mots crus et sans tabou aucun, les rêves érotiques.        

 

Je m’en remets à toi, O Cheikh Mohand Oulhoucine !   

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La rencontre historique entre les deux grands poètes Si Mohand Oumhand et Cheikh Mohand Oulhoucine a fait coulé beaucoup d’encre et de salive. C’est un haut fait de la littérature d’expression orale kabyle, écrit Abdenour Abdesselam, en ce sens qu’elle a réuni deux grands génies de la parole ayant vécu à la même époque, mais dont les visions de la vie sont diamétralement opposées. Ils se rencontrèrent une seule fois, en 1901.  L’échange verbal se fit dans le respect mutuel en dépit des différences qui caractérisent les deux personnages, tous deux affectionnés par les siens. C’était donc le rêve de chacun de rencontrer l’autre.  

De retour de Tunisie, Si Mohand apprit que Cheikh Mohand Oulhoucine était gravement malade. Il pensa alors lui rendre visite à Taqa. Arrivé à un endroit où l’on peut voir Ath-Ahmed, Si Mohand cacha sa pipe et son absinthe dans un lentisque par respect au Cheikh.    

Sur son chemin, en cette journée ensoleillé, il a été aperçu par l’un des adeptes de Mohand Oulhoucine. Lorsque le Cheikh apprit la nouvelle, il invita Si Mohand à prendre place près de lui.

-          C’est donc toi le fameux poète Si Mohand ? demanda le Cheikh

-          C’est moi-même, répondit le poète errant.

Sans plus tarder, le cheikh le sollicita pour lui composer un poème. Si Mohand manquait d’inspiration mais trouva une réponse dilatoire en demandant au Cheikh d’inaugurer la conversation. En fait, Si Mohand manquait de son absinthe sans laquelle il était à court d’inspiration. L’un des adeptes murmura à l’oreille du Cheikh que Si Mohand avait besoin de son stimulant pour versifier. Le Cheikh l’y autorisa à la surprise de tout le monde sachant que cette consommation est prohibée par la religion qui constituait pourtant le credo de la pensée du Cheikh. Le passionnant échange en poèmes entre les deux hommes est resté dans les annales et a fait l’objet de plusieurs écrits. L’espace ne nous permet pas de le reprendre ici dans son intégralité. Si Mohand Oumhand, affaibli physiquement, à cause d’une tuberculose aigue qui aura raison de lui quelques années plus tard, exprima en vers son profond spleen, sa solitude et sa fin qu’il sentait proche. Il exprima d’ailleurs son souhait d’être enterré à Asqif N’T’mana. Le Cheikh lui conseilla de changer son train de vie bohémien et de fonder un foyer comme tout le monde mais Si Moh ne voulait rien entendre si bien de décourager son interlocuteur qui lui lâcha : « Ruh ! A k-inegh Rebbi d amengur ! (Dieu fasse que tu meurs sans progéniture !). Si Mohand dit entre autres au Cheikh, dans ce poème paru dans un article signé par Abdenour Abdesselam (De la rencontre entre Chikh Mohand Oulhoucine et de Ssi Mohand Oumhand) :       

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Ma vie a atteint son terme
Mon physique est las
Rongé par un étrange mal

Ai-je consulté moult guérisseurs
Cherchant partout remède à mon mal
Et suis plein de créanciers à présent

De faux espoirs ou de faux rêves
Sans rien trouver de remède en guérisseurs
Je m’en remets à toi oh ! Chikh Mohand Oulhousin.

Karim KHERBOUCHE

 

Une bibliographie

Les ouvrages consacrés à la vie et l’œuvre sont tant nombreux que nous ne pouvons tous les citer ici. Nous vous conseillons au hasard ces quelques titres pour en savoir plus sur cet immense poète :

 

Les Poèmes de Si Mohand
Présentés par Mouloud Feraoun
(Paris, Minuit, 1960)
(Rééd., Alger, Bouchène, 1989)
(Rééd., Alger, Anep, 2005)

-  Les Isefras de Si Mohand ou M’Hand
Choix et traduction de Mouloud Mammeri
(Paris, Maspero, 1969)
(Rééd., Orphée/La Différence, 1994)
-  Cheikh Mohand. Le Souffle fécond
de Farida Aït Ferroukh
Préface de Mohammed Arkoun
(Paris, Volubilis, 2001)
-  Si Mohand ou Mhand. Errance et révolte De Younes Adli
(Paris Mediterranée, 2001)
-  Slimane Azem, Allaoua Zerrouki chantent Si Mohand U M’hand
de Rachid Mokhtari
(Alger, Apic, 2005)

- Isefra n Si Muhend U Mhend, Mohand Ouramdane Larab, édition Impérial, Rabat, 1997.

-Si Mohand Ou M'hand, la vaine musique du vent, Kahar rachid édition inas 2006.

 

Filmographie

-Si Mohand l’insoumis, un film de Rachid Benallal et Liazid Khodja (100 min., Alg/Mar, 2004) 

Tag(s) : #Potrait
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