/image%2F1306855%2F20151007%2Fob_52fa1b_nadia-matoub.jpg)
Nadia Matoub
" Je me souviens qu’il n’y avait pas de voitures sur la route à ce moment-là, nous
étions seuls "
Poète et chanteur de génie, Matoub Lounès portait également les espoirs de tout un peuple.
Il a toujours dérangé le pouvoir et les opportunistes de tout bord.
Matoub Lounès a été liquidé dans un terrible attentat Ce jour-là, sa femme Nadia a miraculeusement échappé à la mort ainsi que ses deux sœurs. Nadia Matoub revient dans cette interview réalisée au mois de juin 2006 à Paris sur cet événement tragique.
Y. Z : Huit ans sont passés après l’assassinat de Matoub Lounès, qu’est ce que cela vous
inspire aujourd’hui?
Nadia Matoub : A chaque fois qu’arrive le
mois de mai, j’ai des appréhensions, je voudrais que
le mois de juin passe sans que je m’aperçoive…C’est
toujours douloureux de se rappeler le 25 juin…Avant
j’avais la vision d’épouser Matoub que je
vénérais…J’ai connu l’homme, mon rêve s’est réalisé,
j’ai vécu avec Matoub…Ce qui s’est passé le 25 juin
1998 fait que j’ai une autre vision du monde…Pour moi
et mes sœurs, c’est un énorme traumatisme, tout s’est
cassé…Je suis en train de me reconstruire…Le temps n’a
rien effacé…
Quelles sont les images que tu gardes de
l’attentat dans ta tête ?
Ce qui me reste c’est cette
surprise…L’embuscade est une chose à laquelle on ne
s’attend pas…D’ailleurs jusqu’à maintenant dès que
j’entends un bruit, je suis perturbé…Quand ils ont
commencé à tirer, j’étais donc surprise…Ils ont tiré
durant une demi-heure, c’est très long…J’ai perdu
connaissance à plusieurs reprises…Le visage blême de
Matoub est resté dans ma tête…Je n’ai pas envie de
revivre ces événements…Je me souviens qu’il n’y avait
pas de voitures sur la route à ce moment-là, nous
étions seuls…On a commencé à tirer des deux côtés, du
mien et de celui de Matoub…Je n’avais pas compris ce
qui se passait…Le Klash de Matoub était près de moi ;
au départ je croyais que c’était moi qui avait fait un
faux geste mais après j’ai compris que j’étais
touchée…Ils ont fait en sorte que la voiture s’arrête
tout de suite…J’ai donné le Klash à Matoub qui voulait
sortir…Je criais ainsi que mes sœurs, nous ne voulions
pas que Matoub sorte car les autres étaient nombreux,
je tenais la ceinture de Matoub, j’avais espoir qu’on
allait s’en sortir. Puis, il est resté, il a essayé de
riposter à partir de la voiture…Matoub a ensuite
ouvert sa porte, a sorti son pied et tirait…Farida et
Warda criaient, elles avaient été touchées…Moi aussi
mon sang coulait énormément…Il reste encore huit
éclats de balle dans mon cuir chevelu…J’ai perdu
connaissance…Quand je me suis réveillé, je me suis
aperçu que Matoub avait changé de chargeur, il en
avait déjà vidé un…Puis Matoub a subi des rafales
à bout portant même s’il était déjà mort…Ils ont fait
le tour de la voiture, ils ont ouvert ma porte, l’un
des assaillants a dit à son copain, en arabe, que
j’étais la femme de Matoub, l’autre lui a dit de me
fouiller…J’étais la seule à être fouillée, puis ils
ont fouillé toute la voiture…J’ai fait la morte quand
ils me fouillaient…Ils sont encore tiré à bout portant
sur moi, une balle est entrée par mon bras avant d’en
sortir, d’autres balles sont encore entrées en moi
avant de percuter la voiture…Ma sœur Warda n’a pas
encore récupéré totalement l’usage de sa main
droite…J’ai été à l’hôpital de Ain Naâdja pour quatre
jours puis je suis revenu à Tizi Ouzou…Quand les
assaillants sont partis, je les ai entendus crier «
Allah Akbar »…Les voitures passaient et ne voulaient
pas s’arrêter jusqu’à ce qu’un fourgon de Beni Doula
évacue Farida et Warda…Moi et Matoub, on nous a
laissés pour morts…Ils croyaient que moi aussi,
j’étais morte…Ce sont deux jeunes qui m’ont pris à
l’hôpital…Farida a enlevé ensuite deux balles de son
corps ici en France, Warda s’est aussi soigné ici en
France…
A votre avis qui sont ces assassins ?
J’ai exprimé mes doutes dans une interview du Soir
d’Algérie, parue le 20 juillet 1998. J’ai dit sur le
fait que les assaillants criaient « Allah Akbar » ne
voulait rien dire…J’étais la seule à exprimer mes
doutes à ce moment là…Je me rappelle aussi pour le
procès verbal que j’ai signé à l’hôpital de Tizi Ouzou
: à la fin, je n’étais pas d’accord, ils ont écrit :
«c’est le GIA qui a tué mon mari », j’ai regardé ma
grande sœur mais j’étais à l’hôpital, ils étaient
quatre hommes et je ne voulais pas réagir…Au mois
d’octobre 1998, j’ai dit que c’est le GIA…J’ai fait
une conférence de presse à l’hôtel Lalla Khadija après
ce qui s’est passé avec ma belle famille…
Est-ce qu’un jour on saura la vérité ?
Quand j’étais à l’hôpital de Tizi Ouzou, je ne voulais
pas être évacuée France car j’entendais les gens ,
dehors, crier et manifester pour Matoub, je me disais
que ma place était là bas et que ce serait une
trahison de venir en France…Je voulais exprimer ma
douleur et quémander la protection de ceux qui
aimaient Matoub…Je n’étais pas convaincue de dire que
c’était le GIA…On a essayé de me convaincre en me
disant que parmi les assassins, il y avait quelqu’un
qui était un membre actif du GIA, qu’il était connu
dans la région puisqu’il en était originaire…Mais il
fallait que mes sœurs viennent en France et seuls les
animateurs du RCD , au moment où je faisais la
conférence de presse, pouvaient nous aider à le
faire…Jusqu’à présent, on ne sait pas qui a commis
l’assassinat…Il faut qu’on sache la vérité…Je ne
m’attends pas à un miracle de la justice algérienne
mais je ne perds pas espoir…Peut-être que quelqu’un va
se mettre à parler un jour…Peut-être que l’Algérie va
changer un jour…
Propos recueillis à Paris par Youcef Zirem au mois de juin 2006