Le voile du silence de la chanteuse Djura traduit en plusieurs langues

Dans ce livre émouvant, Djura évoque ce que fut la vie d'une petite fille kabyle en Algérie, puis celle d'une jeune fille émigrée en France, avec, en toile de fond des ghettos, le racisme, la fatalité de l'islam, la fierté de l'Arabe et la condition de la femme qui commence parc celle de la petite fille qu'on rejette dès sa naissance pour la seule raison qu'elle n'est pas un garçon. Elle parle de la prédominance de l'homme, qu'il soit père, frère ou mari, qui, dans la société maghrébine a tous les droits sur la femme, taillable, corvéable, réduite à la condition d'esclave, humiliée, étouffée par la cellule familiale, avec la complicité même de la mère, surveillée, battue, répudiée, parfois assassinée, mariée contre son gré parce que la tradition veut qu'on n'ait d'égards que pour l'homme alors que la femme ne sert qu'à perpétuer la famille. C'est qu'une femme n'est rien et doit être soumise, asservie à l'homme et à sa dictature. Sur elle pèse encore plus lourdement le poids des traditions ancestrales auxquelles il ne peut être dérogé, avec en prime la conjuration du silence.


C'est la condition de la femme arabe que Djura a choisi de dénoncer et sa révolte est à la mesure de son engagement, à contre-courant des coutumes. Elle dit quelle a été sa volonté d'en sortir, malgré les épreuves et les interdits au sein d'un monde hostile, même à l'intérieur de sa propre famille au point que le suicide ait pu, un temps, constituer une délivrance. Elle analyse aussi ce que fut son ouverture à la culture française, la découverte de sa personnalité, de son originalité, de sa vie de femme, de sa valeur, de sa générosité aussi puisqu'elle avait choisi d'aider tous les membres de cette famille qui furent aussi ses bourreaux. Ce livre est un pas vers l'émancipation de la femme algérienne de sa reconnaissance en tant qu'être humain. Les occidentaux ne détiennent pas la vérité et il reste chez nous encore beaucoup à faire, mais ce phénomène de libération de la femme , même s'il est cyclique et lent est aussi irréversible... Sous toutes les latitudes « la femme est l'avenir de l'homme ».


Djura est aussi scénariste, auteur, compositeur-interprète, poète, comme les êtreS qui ont beaucoup souffert et qui puisent dans leurs plaies et dans la sanie qui s'en écoule la force d'exister, malgré la peur et la mal de vivre. L'écriture et la musique sont un exorcisme.


Ainsi, après s'être battue contre sa condition, découvrit-elle, grâce sans doute à la vie en France, l'union libre, ce qui est impensable pour une algérienne, mais aussi la joie du spectacle. Ce fut « Djurdjura », un groupe de chanteurs et de musiciens qu'elle fonda où la volonté de vulgariser la culture et la musiques berbères le disputait à la poursuite de son combat pour l'émancipation de la femme maghrébine. « Celui qui ne sait pas d'où il vient ne peut savoir où il va » disait Gramsi.


Comme toujours le succès populaire était au rendez-vous, mais la censure officielle algérienne entrava la marche de Djurdjura. Elle se heurta aux problèmes du quotidien mais surtout au système du parti unique au pouvoir. Ainsi la lutte politique finit-elle par prendre le relais , avec en, contre-point la nécessaire relecture du Coran, véritable ciment du monde arabe. Là aussi, il y avait un combat à mener et qui était à la mesure de son énergie. du coup, la voilà rangée dans la catégorie des opposants politiques et à ce titre mise à l'écart comme d'autres avant elle. Mais qu'importe, elle s'est assigné un but, dire, dénoncer et faire changer les choses, essayer !


Malgré les lassitudes, les déceptions, les épreuves, il lui reste la musique et les êtres qu'elle à choisis pour siens, pas ceux du clan ancestral mais une véritable famille unie par les liens de l'amour. Il lui reste aussi l'écriture... Ce livre plein d'émotions est là qui en témoigne. Il mérite l'attention du lecteur.

©Hervé GAUTIER – Mai 1991 - http://hervegautier.e-monsite.com
Lien : HTTP://HERVEGAUTIER.E-MONSIT..

"le voile du silence", réédition en livre de poche.

Extrait :
Sa première visite fut pour Mohand, qui le reçut... à bras ouverts, s'étonnant que je ne l'accompagne pas.
Olivier m'écrivit aussitôt pour apaiser mes craintes. Mohand, apparemment, considérait notre liaison comme désormais « officielle ». Le temps avait passé, il ne m'en voulait plus. Il avait même logé Olivier dans le studio de Hussen Dey, de triste mémoire, mais qu'il avait transformé depuis en laboratoire photo.
Je n'en croyais pas les lettres de mon cher voyageur :
j'allais retrouver un frère amical, ainsi que mon amie Martine. Olivier et moi allions pouvoir mener à bien ce premier reportage, et tenter une nouvelle expérience dans cette Algérie toujours aussi chère à mon cœur.
Mon frère et Olivier vinrent m'attendre à l'aéroport. C'est le regard de Mohand que j'ai cherché en premier. Il m'adressa un large sourire qui me fit oublier mes griefs révolus.
On s'embrassa, et Mohand nous emmena dîner dans son appartement. J'y retrouvai Martine et mon oncle maternel, qui habitait Alger et que j'aimais beaucoup. Ce dernier devait aller chercher sa sœur à l'avion, en fin de soirée. Elle arrivait aussi de Paris et, comme elle ne pouvait se rendre en Kabylie le soir même, il avait été convenu qu'elle coucherait chez mon frère, et nous dans le studio d'Hussen Dey, où Olivier s'était déjà installé.
- Peux-tu emmener mon oncle à l'aéroport ? demanda Mohand à Olivier après le repas. Tu nous déposeras, Djura et moi, au studio : j'en profiterai pour lui faire visiter le labo-photo. On vous attendra là-bas, et puis tu nous ramèneras ici, l'oncle, la tante et moi : D'accord?
Nous partîmes donc tous dans la voiture de mon ami. C'était délicieux de rouler dans Alger par cette belle soirée estivale. Mon frère nous faisait redécouvrir les divers quartiers, commentant son futur livre sur les maisons kabyles, se renseignant sur notre propre vision de l'architecture locale. Je me sentais heureuse, libérée des tensions d'autrefois.
Quand Mohand et moi descendîmes en bas de l'immeuble d'Hussen Dey et que je vis s'éloigner mon oncle et Olivier, j'eus pourtant une crispation de tout mon être. Le souvenir des mois pénibles passés dans le studio? La crainte tenace que j'éprouvais encore, inconsciemment, devant mon frère? Rien ne justifiait cette appréhension, cependant. Malgré cela, le malaise augmenta tellement, quand nous fûmes dans l'escalier, que je faillis m'enfuir.
Trop tard... Mohand vient d'ouvrir la porte du studio, la referme sur nous, sort un couteau de sa poche et me déclare froidement :
- Maintenant, tu vas mourir.
Sans que j'aie le temps de proférer un mot, il me jette sur le lit, me frappe de toutes ses forces, me fait presque éclater le nez. Mon chemisier blanc et ma jupe bleu ciel sont bientôt couverts de sang. J'éponge mon visage avec mon foulard, qui de blanc devient rouge lui aussi. Je bafouille :
- Mais enfin, tu as reçu Olivier, tu étais au courant. Tu lui as dit que...
Les coups me font taire aussitôt. Mohand est maintenant assis près de moi, sur le lit, tripotant son couteau, savourant ma terreur.
- Tu aimes ce garçon ? Eh bien tu vas mourir à cause de lui...
C'est fou mais... ma première pensée fut pour ma mère. Qu'allait-elle devenir, sans ressources, humiliée par le fait que sa fille avait été assassinée par son propre fils ?
Puis, dans une sorte de brouillard, j'entrevis l'étendue de ma naïveté. Jamais je n'arriverais à m'en sortir ! J'avais beau abattre des tonnes de travail, donner tout l'amour possible alentour, je revenais toujours à la case départ :
mon père et mon frère, deux hommes qui voulaient ma peau. Que désiraient-ils, en effet, à part ma mort ? L'impossible... Que je me marie, mais pas avec un étranger. Que je travaille, mais en leur rapportant mon argent sans jouir de la moindre liberté. Que je m'abstienne de prendre toute décision, et surtout que je ne dispose pas de mon corps.
Mohand exhibait avec des gestes déments des photographies qu'Olivier avait prises de moi, en robe très décolletée.
- Pour ça aussi, tu vas mourir !
Il avait fouillé dans les affaires de mon ami. Il avait tout prévu, tout préparé. Et moi j'étais tombée à nouveau dans son piège ! Il faut dire qu'au jeu de la fourberie, il s'était surpassé, cette fois-ci. Je m'étais livrée à lui avec le sourire, et maintenant je pleurais à gros sanglots. Ce n'étaient plus des larmes de colère, ni même de douleur, c'étaient des sanglots de désespoir, de fatigue extrême, d'humiliation. Je n'essayais même plus d'argumenter, j'écoutais sans les entendre les vociférations de mon frère, je ne le regardais pas, préférant ne pas voir quand et où viendrait le coup de couteau. Je le laissais se repaître de ma frayeur panique, de mon renoncement, de ma déchéance...
Puis je tentais encore de me justifier, sans illusion mais histoire de « faire traîner », de gagner du temps, jusqu'à ce que les autres reviennent.
Mais personne ne venait. J'appris par la suite que ma tante ayant loupé son avion, mon oncle et Olivier avaient attendu un second vol, puis téléphoné à Paris pour finalement apprendre qu'elle partirait un autre jour. Pendant ce temps, je vivais une éternité d'angoisse...
Soudain, j'entendis des pas dans le couloir. Je sautai vers la porte. Mohand me retint brutalement avec cette phrase ridicule :
- Pas un mot de cette histoire !
Il n'y avait pourtant pas besoin de parler : j'offrais à moi seule un spectacle édifiant... Mon oncle re manifesta pas de réelle surprise : un frère qui corrige sa sœur et lui fait saigner le nez en cognant n'était pas si exceptionnel sous nos climats. Olivier, lui, demeura interdit. Il m'avoua plus tard n'avoir rien osé faire, attendant un geste de moi. Mais mon frère ne nous laissa pas le loisir des explications.
- Bon, on s'en va, dit-il avec un sourire innocent. Et il m'entraîna par le bras, priant poliment Olivier de les raccompagner chez eux, l'oncle et lui.
Le trajet s'effectua dans un silence pesant. Olivier conduisait, mon oncle à ses côtés, Mohand et moi derrière. On déposa d'abord l'oncle, qui ne prolongea pas les adieux, puis Olivier arrêta sa voiture devant l'immeuble de Mohand, attendant que celui-ci prenne congé à son tour.
Mais voilà que mon frère ouvre la portière de mon côté en s'écriant :
- Toi, descends et rentre à la maison !
Mon père... Les mêmes mots que mon père, quelques mois plus tôt. La même perspective : les quatre murs, la mainmise, le mutisme, la séquestration, la peur...
Sans réfléchir, je me mets à hurler :
- Non, je ne descendrai pas !
Mohand brandit alors de nouveau son couteau et me fend la lèvre inférieure. J'ouvre la portière pour m'enfuir, mon frère me suit et cherche à me rattraper. Nous tournons en courant autour de la voiture. Olivier tente de s'interposer.
- Toi, tu ne bouges pas ! crie mon frère. Tu as dépucelé ma sœur, cette s..., cette p...
Il nous traite de tous les noms. Olivier fait ce qu'il peut mais il n'est pas karatéka et nous ne sommes pas dans un film. Moi, je me défends comme une furie :
- Non, je n'irai pas chez toi !
Il faut appeler la police. Comme si la police pouvait me sauver, dans un pays où une fille qui se rebelle est automatiquement réputée coupable. Le gardien de l'immeuble, alerté par le bruit, fait alors irruption dans la scène.
- C'est ma sœur, indique simplement mon frère. Et c'est amplement suffisant! Sans s'inquiéter des raisons de notre querelle, ni du sang qui macule mes vêtements, le gardien m'empoigne par l'épaule et se met à hurler à son tour :
- Bon, toi, rentre à la maison !
Décidément, ils n'ont que ce mot-là à la bouche, les hommes, par ici. Je me débats contre ce gardien polyvalent qui essaie de m'empêcher de remonter en voiture. Mais mon frère, tout à coup, lui fait signe d'arrêter. Est-ce que ma menace d'avertir la police a quand même fait son effet?
- Laisse-les partir, dit Mohand. De toute façon, je les retrouverai. Puis, s'adressant à moi :
- Tu entends ? Où que tu sois, où que tu ailles, même si c'est en Amérique, même si c'est dans dix ans ou plus tard, je te retrouverai et je te tuerai.

 un best-seller " Le voile du silence ", un témoignage sur la condition féminine. Histoire Vraie. Traduit en plusieurs langues
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