C’est un Amour Abdenour épanoui et heureux que nous avons rencontré lors du spectacle qu’il a co-animé avec une pléiade d’autres chanteurs à l’occasion du 28e anniversaire du printemps berbère. Il est heureux de retrouver son public vivant en Algérie et de l’accueil chaleureux que celui-ci lui a réservé.    
Nous l’avons rencontré et il s’est prêté volontiers à notre jeu des questions-réponses.

Cela fait longtemps qu’on ne vous a pas vu sur scène en Algérie, cela vous a-t-il manqué ?   
« Bien sûr que ça me manque de chanter chez nous pour mon public. Hélas, parfois, eu égard au manque flagrant de professionnalisme en matière d’organisation de spectacles, je me dis que mieux vaut rester chez soi que de mal se produire.
Naturellement, on aimerait bien se produire sur scène parce que l’essence même d’un artiste, c’est d’aller vers son public. Bien entendu, ce n’est pas uniquement pour célébrer une date symbolique comme le Printemps berbère, qu’on doit organiser un gala… »

N’est-ce pas frustrant pour votre public en Algérie de vous voir sur Internet vous produire à l’étranger, alors que presque jamais chez nous ? Pour être plus clair, doit-on partir en France pour voir un chanteur algérien ?      
« Il y a plusieurs raisons bien sûr. La question de moyens vient en premier.  A l’étranger on peut se produire dans de bonnes conditions tant les salles de spectacles répondent aux normes exigées. On peut ajouter, entre autres, la cause de la dégradation des conditions socio-économiques qui a éloigné le citoyen de la culture. On ne peut  pas se permettre d’aller voir un film, alors qu’on est chômeur et qu’on a du mal à joindre les deux bouts. C’est la triste réalité malheureusement. De plus, à l’étranger, nos compatriotes ont un peu plus besoin de se retrouver et de ressourcer. »

Amour, vous qui avez chanté beaucoup la jeunesse, à votre avis, qu’est-ce qu’il faut pour redonner l’espoir aux jeunes ?
« Ma foi, il n’y a pas plus triste qu’un jeune qui perd espoir. C’est malheureux de voir aujourd’hui où nous en sommes : des jeunes qui s’adonnent à la drogue, d’autres qui fuient  vers des pays étrangers au péril de leur vie, d’autres même qui vont jusqu’à mettre fin à leur vie. La vie n’est pas rose pour nos jeunes qui méritent beaucoup mieux dans ce beau et riche pays. Non seulement ils font face à la crise économique, mais aussi à celle de la perte de nos valeurs ancestrales de solidarité et d’attachement à la terre qui nous a vue naître.    
Moi je dis que quelque soit la situation d’une personne, on doit toujours avoir de l’espoir, car l’espoir fait vivre. La vie demeure le plus cadeau du Créateur.
Nous quand nous étions jeunes, nous n’avions pas grand-chose mais nous avions de l’espoir et nous étions heureux parce que, généralement, on ne travaillait pas pour rien. Les études avaient aussi un sens, avec un diplôme on pouvait réussir sa vie, ce n’est souvent pas le cas aujourd’hui. »             

On dit que votre chanson « mmi-s n tmurt-iw » est inspirée d’une histoire tragique vraie, le confirmez-vous ?
« En effet, c’est une histoire vraie. Celle-ci s’est déroulée dans mon village en 1982. J’avais à l’époque 30 ans. C’est l’histoire d’un ami cher et de son fils qui sont allés pêcher à la rivière. Le fils est tombé dans l’eau, il a été happé par les flots. Son père a essayé vainement de le  secourir. Celui-ci est mort par noyade. Profondément choqué mon ami est décédé d’une crise cardiaque. Ils sont donc morts tous les deux en même temps. J’ai écrit cette chanson comme un hommage pour eux. »

On dit aussi que vous avez un frère qui vous ressemble beaucoup physiquement, qui a une voix comme la vôtre, parfois même il se produit sur scène à votre place…
« C’est en effet mon frère Hafid, je suis plus âgé que lui de quatre ans. Ce sont mes chansons qu’il chante. S’il me ressemble ? Je ne sais pas vraiement…peut-être parce qu’on a les mêmes cheveux blancs ! (rire)
Mais il ne chante jamais à ma place, non (rire). Il se produit en son nom personnel. »

Quelle est votre principale source d’inspiration ?
« J’essaie de toucher à tout ce que je vis et vois au quotidien. L’artiste doit avoir le sens de l’observation, savoir écouter et trouver une manière originale d’appréhender chaque situation qu’il met en chanson. En fait, il n’y a pas de bas sujets, il n’y a que des sujets bien ou mal traités. L’amour devrait être le credo même de tous les sujets traités par un artiste. Je tiens à réitérer ce que j’ai toujours dit : un monde où les gens s’aimeraient un peu plus ne pourrait être que meilleur. »

Votre manière à vous d’aborder un sujet accorde une importance particulière aux descriptions, pourquoi ? Cela a-t-il un lien avec votre formation de géomètre, métier que vous avez cessé d’exercer en 1995 pour vous consacrer totalement à la chanson?  
« C’est fort probable dans la mesure où le géomètre fait un travail de précision et est perpétuellement au contact de la nature…
Je pense que pour faire sentir à quelqu’un ce que l’on ressent, il n’y a pas mieux que de décrire. L’artiste doit avoir la capacité de faire rire et pleurer sans qu’il rit ou pleure. »

Certaines de vos dernières chansons sont un peu plus instrumentales que d’habitude, ne craignez-vous pas de devenir méconnaissable aux yeux de vos fans ?
« Je n’ai pas changé mais il faut bien évoluer avec le temps. Je ne fais qu’enrichir mon travail. Nous ne sommes plus à l’époque où l’on chantait avec les seuls mandole et derbouka. Si on n’évolue pas, on risque de disparaître tant la médiocrité a atteint des pics alarmants. La mode est aujourd’hui au rythme mais le bon rythme n’empêche pas la bonne parole. »

Vos chanteurs préférés ?
« Tous les anciens : Taleb Rabah, Akli Yahiatène, Kamel Hamadi, Chérif Kheddam, pour ne citer que ceux-là. Il y a de jeunes chanteurs aussi qui ont du talent comme Mohamed Allaoua. J’écoute toutes les chansons qui me plaisent.  J’aime aussi et surtout Jacques Brel. »

En dehors de la chanson, quelles sont vos autres occupations ?
« Je fais du sport. Avant je lisais  plus qu’actuellement. » 

Citez-nous un livre que vous aimeriez relire ?
« Le Vieil Homme et la Mer d’Hemingway. »  

Vous adorez la campagne, n’est-ce pas ?
« Et comment ! Je n’ai pas de pays de rechange. Tamurt qui nous a vus naître n’a et n’aura guère d’égal. Retourner là où on est né, c’est comme un besoin viscéral chez nous. » 

Un mot peut-être avant de se quitter, Abdenour ?
« Je vous remercie vous personnellement pour vos articles sur moi alors que je ne vous avais jamais rencontré. » 
                    Entretien réalisé par Karim KHERBOUCHE  et Michèle Gilles
                    Le magazine Les Nouvelles Confidences N°397 du 07 au 21 juillet 2008
 

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