D’aucuns soutiendraient qu’en Kabylie, comme partout ailleurs en Algérie, les tâches domestiques sont l’apanage des épouses et que rarissimes sont les époux qui s’en occupent. Nous ne pouvons pas parler déjà de l’émergence du « nouvel homme » mais lisez ce qui suit et vous verrez que les choses ne sont pas si évidentes qu’on le pense. Du moins à Béjaia où nous avons mené notre enquête auprès d’un échantillon représentatif de  couples.

En effet, de nos jours, les rôles entre les conjoints face aux différents aspects du travail domestiques ont subit bien des modifications. Il y a de plus en plus de famille où les conjoints exercent simultanément une activité professionnelle. Par conséquent, l’implication grandissante des femmes dans le monde du travail, et plus généralement dans la sphère publique, a entraîné un investissement des époux dans les activités ménagères tendant ainsi vers une certaine égalité et une interchangeabilité des rôles et des attributions des conjoints. Néanmoins, en dépit de cette réalité, le modèle traditionnel basé sur la dichotomie des tâches domestiques des deux sexes résiste encore dans bien des famille, aussi bien en milieu rural qu’urbain, obligeant ainsi les femmes exerçant une activité professionnelle à une harassante « double journée ».

Bru ou bonne à tout faire ?

Traditionnellement parlant, une bonne épouse est notamment une jeune fille qui sait tout faire à la maison. C’est le critère numéro 1 qui détermine le choix des parents dans la future épouse de leur fils. Ce rôle est d’autant plus ardu pour une fille/femme dans les familles nombreuses constituées essentiellement de personnes de sexe masculin, comme témoignent toutes celles qui ont accepté de nous parler. Parmi elles, Saadia, 32 ans, femme au foyer, habitant un village de la commune d’Akbou : « Je me suis mariée à l’âge de 21 ans. Depuis 11 ans, je n’ai pas connue de répit. Ma vie se résume à faire les tâches ménagères toute seule, à procréer et à me taire. J’ai à peine le temps de regarder mon feuilleton préféré. Même quand je me plains à mes parents, ils me condamnent. C’est normal parce que même la femme de mon frère subit le même traitement ».           

Ouahiba, 22 ans, actuellement stagiaire à Sidi Aich, nous raconte : « Je suis la cadette de mes sept frères. Ma mère souffre d’une maladie qui l’empêche de travailler. C’est moi qui fais tout à la maison. Je suis la bonne à tout faire. J’ai dû mettre un terme à mes études à cause de cela. Mes frères ne daignent même pas me donner un petit coup de main. Maman croit que c’est normal dans la mesure où la société exige de nous d’être de bonnes femmes au foyer ».

Pour Ouardia, 58 ans, qui dit avoir passé le plus clair de sa vie à la maison, au service de ses enfants : « On a pas le choix, c’est la nature. Si Je ne le fais pas moi pour ma famille, qui le ferait à ma place ? Il faut bien qu’il y ait quelqu’un à la maison, non ? Ma seule satisfaction aujourd’hui est de voir mes enfants grandir et réussir dans la vie ».             


Du bureau au fourneau !

Dans le détail des activités réalisées au sein de l’espace domestiques, même si les hommes s’impliquent un peu plus qu’avant dans bien des familles à Béjaia, on constate que leur participation demeure, dans la plupart des domaines, inférieure à celle des épouses. Les femmes sont les spécialistes incontestées de l’entretien du linge et du domaine de la gestion des besoins familiaux (gestion, prévision, achat). Elles s’occupent massivement de la cuisine, du ménage et de l’entretien des personnes. Elles sont également spécialistes des travaux de confection et de couture et ce, bien qu’elles soient aujourd’hui de moins en moins nombreuses à le faire. « Quand j’étais célibataire, je vivais seul, c’était la bazar dans mon appartement ; depuis que ma femme est là, tout est propre, chaque chose est à sa place », nous dit Yazid, 39 ans, taxi à Béjaia-ville. Et d’ajouter : « S’il n’y avait pas les femmes, je ne sais pas ce qu’on deviendrait nous les hommes ! »        

D’une façon générale, les hommes, eux, s’occupent du cadre bâti, de la gestion financière à long terme de la famille et des travaux du bricolage, etc.  


J’aimerais aider ma femme mais…

Voici deux témoignages typiques que l’on peut entendre davantage dans la rue. Rezki, 40 ans, cadre administratif, Tazmalt : « J’aime bien donner un coup de main à ma femme à la maison mais mes parents trouvent indécent qu’un homme digne de ce nom fasse ce qu’ils appellent eux un travail de femmes ». Fatah, 35 ans, commerçant, Seddouk : « Ma mère et mes sœurs m’ont habitué à ne rien faire à la maison, aujourd’hui c’est ancré dans mes habitudes, je me comporte de la même manière avec ma femme et ce, si j’essaie de changer car je trouve que je suis injuste».

Farid, instituteur à Ighram, dans la daira d’Akbou : « Ma femme est enseignante. Je n’ai aucun complexe à faire les activités domestiques avec elle. C’est chez moi un geste spontané. Il n’y a pas de répartition des tâches chez nous, peu importe que ce soit moi ou elle qui fasse une tâche quelconque »   

Les tâches ménagères sont en général partagées entre les conjoints chez les familles ne vivant pas chez les parents de l’époux. C’est pratiquement le cas chez tous les conjoints instruits. «Les activités domestiques deviennent un jeu puisque nous les effectuons souvent ensemble. Il arrive aussi qu’on définisse la tâche de chacun. Par exemple, le vendredi matin, nous le consacrons au ménage, nous le faisons en alternance, mon mari et moi », nous dit Hadjira, 42 ans, cadre dans une société à Taharacht (Akbou). Et de poursuivre : « Il arrive aussi qu’on définisse la tâche de chacun. Moi, je fais la cuisine, les équipements sanitaires et les vitres, et lui fait les chambres et le salon par exemple. Mais le reste des jours c’est moi, à titre d’exemple, qui m’aperçois que le contenu du réfrigérateur ne tient pas toute la semaine ou qu’un appareil a besoin d’être réparé, etc.». C’est dire que quelque soit la volonté du partenaire, c’est toujours la femme qui en fait beaucoup plus.

Quant à la progéniture, les filles, à leur sortie d’école, elles doivent s’acquitter des tâches domestiques avant de faire leurs devoirs pendant que les garçons passent leur temps à jouer dehors sans avoir le moindre souci.

Il faudrait tout de même préciser que lorsque l’outil facilite le travail, l’interchangeabilité des rôles entre les conjoints est beaucoup plus accrue. Ainsi, les hommes qui ont horreur du balai, trouveraient du plaisir à faire le ménage à l’aspirateur et au lave-vaisselle. Il en est de même pour les femmes vis-à-vis du bricolage lorsqu’on met à leur disposition une perceuse électrique, un appareil électrique pour visser et dévisser, etc.        

Dans presque tous les couples que nous avons rencontrés, c’est l’époux qui gère l’avenir familial ; il prend sous sa responsabilité la gestion financière à long terme de la famille : la maison, les placements financiers, les impôts… L’épouse peut intervenir, son avis peut être déterminant mais concrètement, c’est l’homme qui agit. Inversement, en ce qui concerne la gestion des besoins familiaux, l’homme peut faire le ménage, la cuisine, s’occuper des enfants, faire les courses, … mais c’est la femme qui assure les prévisions, gère les stock et les flux, c’est elle qui prépare les menus, fait la liste des courses, planifie et répartit les activités. A ce titre, la femme ayant l’habitude de gérer le quotidien, module les activités selon les nécessités, tandis que son époux s’y manifeste plus comme exécutant que comme un responsable. 

Pour l’éducation des enfants, bon nombre de pères s’occupent de l’éducation scolaire et les mères du maternage proprement dit.

Quant aux activités de loisirs, elles font figure de parent pauvre dans la plupart des familles. La ville de Béjaia manque cruellement d’infrastructures pour loisirs où les couples peuvent y passer quelques temps afin de casser la routine du quotidien.               

Cachez-moi ces activités que je ne saurai voir !

La propreté est-elle un truc de femme ? C’est ce que confirme la plupart des hommes, à l’instar de Mouloud, transporteur de voyageurs : « Bien que je ne supporte pas la saleté, je suis incapable de la traquer au quotidien. Chez moi, mon épouse en est l’ennemie numéro ! Parfois elle ne me laisse même pas le temps de la voir avant qu’elle ne s’en débarrasse ! Parfois, je réagis mais je ne suis pas aussi prompt qu’elle ».     

En pratique, même quand il y a répartition plus ou moins égale des tâches, les tâches qui ont un lien avec l’entretien du corps restent exclusivement féminins dans la majorité des familles. Il en est de même pour les soins corporels au bébé ou à l’enfant malade. L’homme semble incapable d’y intervenir au risque de perdre son identité. Tout cela se passe dans le non-dit. La femme peut râler pour le nettoyage des vitres mais bizarrement elle ne dit rien sur le nettoyage des sanitaires ou du linge !     

La femme rurale, ce souffre-douleur

Le ménage, les travaux dans le champ, le pâturage, la cueillette des olives, la cuisine, l’éducation des enfants et la liste des activités de la femme en milieu rural est encore trop longue. De plus, elle devait de « se la boucler » car on est là dans le bastion inviolable où la femme se doit de réactualiser ce qui fait qu’elle « est » femme en accomplissant ces tâches que la société lui attribue de façon exclusive. Ici l’homme et le ménage ne font pas bon ménage !  

Karim KHERBOUCHE

Tag(s) : #Reportage- Enquête
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