Si en Algérie, son pays, elle demeure presque inconnue, plusieurs pays du monde l’ont découverte et adoptée. Bien que toujours insatisfaite, l’artiste peintre Zohra LACAL, après des années de travail sans relâche, d’études, de voyages à travers le monde, parfois de galères, etc., a bien fait du chemin.

Outre sa peinture qui se définit comme celle de l’espérance, à entendre le récit de sa vie, on se rend compte que nous sommes en face d’une vraie légende vivante. Elle présente du 2 au 4 mars, ses tableaux à la Galerie librairie Impressions (98, Rue Quincampoix, Paris) à côté de l’exposition photos de deux photographes. Elle se livre à Kabyle.com. Ecoutons-la il y a tellement de choses à découvrir chez elle !

Zohra, parlez-nous d’abord de cette exposition ?

"Entre Laos et Vietnam" est une exposition avec deux autres photographes, des amis. Sam Sisombat, laotien, révélé la majesté, l’harmonie et la beauté des paysages et des monuments de son pays. Véronique Wlody capte des visages d’enfants à jamais marqués par des produits chimiques durant la guerre. Leurs regards si personnels, si sensibles et si uniques me bouleversent et me font voyager à la fois. Mes tableaux traduisent un instantané d’une journée ordinaire au Vietnam, celle de la vie bouillonnante qui déferle à chaque coin de rue. Notre trio est complémentaire. L’exposition sera présentée à la Galerie Impression du 2 février au 4 mars prochain (98 rue Quinc ampoix - 75003 Paris). Etienne, grand voyageur, a ouvert sa galerie afin de partager sa passion pour l’Asie.

Comment étaient les débuts de votre carrière artistique ?

Comme ma vie, un parcours avec des déviations, des renonciations, parfois des sacrifices. De 83 à 93, ma vie fut partagée entre un bureau le jour et des cours de peintures les soirs, week-end, vacances et les voyages initiatiques dans des musées d’Europe. Entre 87 et 97, j’ai oscillé entre travail et peinture, revenant vers un emploi classique quand mon comte en banque était à sec. Ma rencontre en 93, avec des artistes vietnamiens (dont Trinh Cong Son et Tran Long An) fut déterminante. Ils m’ont convaincu de les rejoindre à Saigon pour vivre pleinement mon art. Je me suis donc installée 5 ans, peignant au départ des voitures et cyclos du film "l’amant". Après 8 mois, j’ai dû retravailler. C’est seulement en 97 que j’ai définitivement abandonné le chemin de "l’usine" pour emprunter celui de l’atelier. L’aventure continue à ce jour.

A cette époque, croyiez-vous devenir un jour peintre professionnelle ?

Jusqu’au Vietnam, je dessinais ou peignais a cote d’une poubelle ou finissaient immanquablement mes travaux. En 96, je peignais un personnage central du tableau, une femme de 2m de hauteur. Je l’ai commence debout sur une chaise pour l’achever allongée par terre, d’un trait, sans recul ni lever le pinceau de la toile. La révélation m’est venue alors que mes genoux étaient encore a terre. Quelque chose de puissant, comm e un message divin, ce genre de chose qu’on voit dans les films. Vous êtes dans le brouillard total et un faisceau lumineux venu du ciel vous éclaire de l’extérieur puis de l’intérieur. Difficile à expliquer, il faut le vivre pour comprendre. Depuis cette date, la Foi ne m’a jamais quitte et c’est justement cela qui me rend si tenace face aux embûches de la vie, si confiante quand mon horizon est sous l’emprise des tempêtes. Malgré cela, j’ai continue a détruire mon travail, le lacérant au cutter, le jettent, le donnant ou le brûlant. En 97, tout s’est enchaîné très vite, commande d’un cabinet d’avocats anglais, exposition en Indonésie, autres commandes et expositions au Vietnam, en Thaïlande et en France. Neuf ans après, je n’en reviens toujours pas d’y etre parvenue. Mais le trac me colle a la peau encore ; la destruction des oeuvres se raréfie.

Faites-vous autre chose en dehors de la peinture ?

Avant, beaucoup de choses, cinéma, modelages, décors, robes, bijoux, marionnettes, sport... L’art est versatile, la création une curiosité intense sans frontière. Mais peindre en professionnel est un VRAI TRAVAIL a temps plein. Il faut monter les toiles, créer, démarcher les galeries, salons et clients potentiels, s’informer, communiquer etc. Hormis mon nomadisme qui m’a amène a vivre dans différents pays, a prendre le t emps de les visiter et a essayer de les comprendre, je travaille tous les jours, parfois 16 heures d’affilées et pour l’exposition de Jakarta, 20 heures par jour. Difficile de m’arracher a l’atelier. Le peu de temps qui me reste est consacre a la famille, aux amis, a leurs concerts ou expositions. Mais parfois, je les oublie comme je m’oublie car la peinture m’obsede. Cet ete, j’ai travaille avec un metteur en scène italien, Fulvio Ianneo, sur sa pièce "moi femme immigrée".

Avez-vous un moment et un lieu de prédilection où vous prenez votre inspiration ?

L’inspiration surgit de nul part et de partout, sans cesse. Seul le temps me manque. En ce moment, j’ai envie de peindre le désert algérien, les paysages indonésiens, les souvenirs de Thaïlande, des portraits, des livres et des nus mais je dois préparer mon exposition sur le Vietnam. Quand le mental est bon, l’inspiration est infinie.

Zohra, vous êtes née au Vietnam d’un père algérien et d’une mère Vietnamienne, pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre famille ?

Mon père était soldat dans l’armée française depuis l’age de 16 ans. Apres l’Allemagne, il a été envoyé au Vietnam pendant l’Indochine qu’il a déserté pour rejoindre Ho Chi Minh (comme certains soldats d’origine maghrébine, africaine et même française). A l’indépendance, il a rencontré ma mère, ancienne combattante, originaire du Nord. Mon père a appris sa langue, ses coutumes et sa cuisine ; Il est devenu un vrai Vietnamien. Il a exerce différents métiers, fait du cinéma - 10 ans. Quand la guerre américaine est devenue inévitable, il a décidé de rejoindre son pays pour éviter de vivre une troisième guerre. Nous sommes partis fin 64, en trai n, sur le légendaire Orient-Express, de Hanoi en passant par la Chine, la Russie, la Roumanie, la Bulgarie et l’Albanie ou le gouvernement algérien a affrété un avion pour nous rapatrier. Fin 72, ma famille a rejoint la France, par bateau. Je ne suis revenue en Algérie qu’en décembre 90.

Quels sont les souvenirs qui vous reviennent de votre enfance algérienne ?

Des souvenirs douloureux li es au décès de mon père. Des champs de coquelicots à perte de vue, de mon grand père algérien qui me préparait une figue de barbarie, de sa patience et de mon empressement. Des vergers a n’en plus finir, des forets, des lacs, des animaux sauvages, des fleurs, des odeurs, des jeux et de la liberté qu’on peut avoir a cet age. De mon coup de foudre pour le dessin. De ma première tempête de neige, d’inondation, d’une pompe d’essence en feu. Des fêtes, de la nourriture, de la salle de cinéma de Boufarik qui passait des westerns américains, des 4 kilomètres bordes d’orangers qui menaient à l’école. De tous les rêves construits à cette époque. Certaines chansons me trottent encore dans la tête.

Parmi vos expositions, pouvez-vous nous d ire quelle a été celle qui vous a le plus marquée ?

Les premières sont toujours les plus marquantes. Aujourd’hui, c’est la similitude du contexte avec celle de Bangkok qui m’interpelle. Il y a un engouement incroyable, une énergie puissante qui traverse les frontières pour me porter en avant. Mon exposition au Château de Bangkok était surprenante par la générosité des communautés étrangères présentes et des thaïlandais. D’illustres inconnus. Ce qui m’a profondément émue tient de la bienveillance, de leur amitié, de leur soutien, de leur encouragement. Que ma passion - si personnelle - puisse les toucher aussi me semble incroyable.

Quels sont vos projets ?

Trouver d’autres galeries pour mes futures expositions ici ou ailleurs, peindre, voyager et rever. Rêver car tout commence par un rêve.

Si vous étiez née à une autre époque, laquelle choisiriez-vous ? Un voyage vers le futur, en 2106 pour le plaisir de rencontrer les descendants de ma famille et ceux de mes amis, vérifier la valeur de l’art d’aujourd’hui, voir comment le monde fonctionnera a cette époque, vérifier que la limonade coulera bien a flot dans les fontaines, que la teleportation sera au service des voyageurs, que la PAIX régnera dans le monde, que les frontières seront anéanties comme la misère et les maladies. Et un retour dans le passe avec Picasso, Egon Schelle, tous les impressionnistes, travailler a leur cote, apprendre d’eux, dire a Paul Gauguin combien nos parcours sont similaires ; allers vers Leonard de Vinci et lui d emander ses secrets, remonter le temps jusqu’a Botticelli et voler sa technique de transparence... Quand cette machine sera t-elle prête ? A y penser, j’irai bien tailler la route avec Jack London, arracher des flammes le tome 2 "des ames mortes" de Gogol, flirter avec Mozart et me disputer avec Rodin.

Quel est votre livre de chevet ?

Michel Abax, André-Pierre D iriken, Fulvio Caccia, Nicolas Chemla, Kawabata, Inoue, London, Rilk, Wilde, Faulkner, Borges... et le Dalai Lama pour la philosophie bouddhiste. Des années durant, je dormais avec 6/8 livres dans mon lit et des piles a lire sur les 2 cotes. La littérature est une grande source d’inspiration comme les voyages, les rencontres et la méditation.

Citez-nous quelques tableaux parmi ceux que vous avez accrochés aux murs de votre maison ? Seules les toiles en cours de séchage sont exposées, par terre. Une seule sur le chevalet. Le vide m’inspir e et m’oblige à avancer. Ce qui est fait ne m’intéresse plus. C’est ce qui reste à peindre qui me dynamise.

Un mot de la fin avant de se quitter ?

L’amour est un choix délibéré. Ce qui m’a toujours touchée, depuis toujours, c’est l’amour fraternel, universel. La générosité du coeur, ce sésame désarmant qui ouvre les portes et abat les fronti ères. C’est grâce a tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la réussite de mon rêve que je peux continuer à peindre aujourd’hui. Car si peindre est un plaisir évident, c’est aussi une lutte acharnée pour vivre, survivre plutôt et durer dans le temps. Les réactions des algériens après la parution de vos articles précédents m’ont profondément touchée. Beaucoup de messages d’encouragement. Cela m’a émue. Merci à tous. L’un d’eux, Youcef, m’a remercié de ne pas renier mes origines. Non seulement je ne les renie pas, mais je les proclame ! Zohra est mon nom d’artiste peintre, celui de ma naissance. Je suis Vietnamienne - Algerienne - Francaise et - Citoyenne du Monde !

                                                                                                  Entretien réalisé par Karim Kherbouche

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