Boudjemaa Agraw Matoub ferhat

L’achewiq, poème chanté sans aucune instrumentation, est à l’origine de la musique kabyle traditionnelle. Ce mode d’expression, où prédomine l’improvisation, était alors exclusivement réservé aux femmes pour extérioriser une forte émotion (joie ou deuil).
Nombre de cantatrices modernes ont œuvré à la préservation de cet art, aujourd’hui quasiment disparu, dont on citera Chrifa, Dhrifa, Taous Amrouche, Ourida et Hnifa. Cette féminisation de l’exercice lyrique caractérisera, durant longtemps, la chanson kabyle. Idhebalen, ou les tambourinaires chargés de l’animation des fêtes traditionnelles dans les villages anciens, allaient ensuite marquer progressivement l’intégration de la gent masculine dans cette sphère, jusque-là fermée, de la musique folklorique kabyle, selon de nombreux historiens. Une saine tradition, jalousement conservée et transmise de génération en génération, s’est ensuite développée pour engendrer de nombreux styles propres à la région. D’après toujours les mêmes sources, c’est la tribu des Ath Abbes, reprenant la musique militaire turque en l’adoptant aux airs du terroir, qui lui adonné le cachet qu’on lui connaît aujourd’hui. A l’origine, idhebalen accompagnaient les troupes qui partaient en guerre pour les galvaniser lors des batailles livrées à l’ennemi. Petit à petit, la pratique a perdu son côté martial pour n’en garder que l’attrait festif.C’est au début des années 1930 que la chanson kabyle opère sa seconde mutation en adoptant une instrumentation moderne.

Proud to be Kabyl

Les chanteurs de l’émigration étaient à l’origine de cette innovation. Cheikh El-Hasnaoui, Zerrouki Allaoua, Farid Ali, Slimane Azem, Moh Saïd Ou Belaïd, Cheikh Arab Bouyezgarene, entre autres interprètes et compositeurs, en étaient les pionniers. Ces chanteurs faisaient la tournée hebdomadaire des cafés et des restaurants pour se produire par groupes parmi les travailleurs algériens réunis en grand nombre.Au milieu des années 1950, une troisième génération commence à émerger avec l’avènement d’une musique bien étoffée dont Cherif Kheddam en fut l’icône scintillante. Ce courant allait ensuite donner un long souffle à la chanson et à la musique kabyles et verra, dès le début des années 1960, l’émergence de nombreux artistes talentueux comme  Mustapha El Anqa, Hsisssen, Amouche Mohand, Kamal Hamadi, Karim Tahar, Oultache Arezki, Youcef Abjaoui, Akli Yahyaten, Saadaoui Salah, Noura, Farida et d’autres encore. Au cours des années 1970, la chanson kabyle connaîtra une autre mutation qualitative avec l’arrivée sur scène de la génération constestataire et engagée des Aït Menguellet, Matoub, Idir, Allam, Ferhat, Abranis, Ferragui, Hamidouche et Youcef Abjaoui, entre autres. C’est au cours de cette période que la musique moderne kabyle allait faire des émules sous l’impulsion de nombreux groupes comme Idheflawen, Inemlayen, Debza et Imnayen. La décennie 1980 marquera l’apogée de la musique kabyle qui s’est nettement modernisée sur le plan instrumental en gardant jalousement son authenticité. Se produisant un peu partout à travers le monde, les Takfarinas, Djurdjura, Tagrawla, Agraw, Asma, Abranis, Idir et Allam, qui comptaient des milliers de fans dans le pays, représenteront la chanson kabyle, avec beaucoup de succès, dans de nombreux festivals internationaux.L’amorce des années 1990 marquera le début d’un certain déclin. Des puristes comme Si Moh, Brahim Tayeb, Kamel Messaoudi, Boukella, Cheikh Sidi Bémol, Amrane et Massi ont beaucoup de peine à se faire entendre dans un paysage où il y a, à ce jour, beaucoup de faux et de parasites. Le plagiat et la reprise des anciennes chansons ont pris le pas sur la création et l’innovation. «Depuis Quelques années, cette tradition a tendance à se figer et à s’appauvrir. Certains chanteurs font fi du travail de création et se contentent de reprendre intégralement, passivement, les chansons de tel ou tel artiste. Le texte et la mélodie sont malmenés, l’interprétation est en deçà de ce qui était souhaité, au grand dam des détenteurs de ‘‘l’hypotexte’’. Mais les plagiaires puisent sans jamais s’épuiser…», dénonce Farida Aït Ferroukh, une universitaire spécialisée dans la chanson et la culture kabyles.
En somme, la musique kabyle est appelée aujourd’hui à se renouveler pour s’adapter. La création et l’innovation qui ont présidé à son développement à travers l’histoire, constituent les deux valeurs fondamentales de cette régénération salutaire.

Kamel Amghar, La Tribune

Tag(s) : #Culture berbère
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