Amrouche.jpgLa maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou a abrité aujourd’hui une journée d’étude sur la famille Amrouche, originaire d’Ighil-Ali (Bgayet) et dont le parcours fut une succession de tragédies.

La matinée a été consacrée à trois thèmes, à savoir « l’œuvre romanesque de Taous Amrouche », « la famille Amrouche » et « l’apport de Taos Amrouche à la littérature d’expression amazighe et française ».

Le coup d’envoi de la rencontre scientifique fut donné par Mme El Djouher Amhis, ex-enseignante et écrivain, et ce, autour du premier thème cité ci-dessus, c’est-à-dire « l’œuvre de romanesque de Taos Amrouche ». La conférencière a passé au crible toute l’œuvre littéraire du célèbre auteur de L’Amant imaginaire. Mme Amhis a expliqué dans le détail dans quels contextes Taos Amrouche a écrit ses œuvres et les différents messages qu’elle a voulu transmettre aux lecteurs.

En ce qui le concerne, le second conférencier, en l’occurrence M. Slimane Benaziez, enseignant à l’École supérieure de journalisme d’Alger, a développé le second thème. La compétence de M. Benaziez a été double puisqu’en plus de ses connaissances acquises à l’université sur l’œuvre et le parcours de la famille Amrouche, il jouit du privilège de l’avoir connue et côtoyée. De son propre aveu, il a connu le père de Taos, Belkacem, mort en 1959 à Ighil-Ali. « J’ai connu aussi, dit-il, Mahmoud, le demi-frère de Belkacem ; donc l’oncle paternel de Taos et Jean El Mouhoub ». Selon le conférencier, sa propre famille et les Amrouche habitaient le quartier d’Ath Moussa à Ighil-Ali. De fil en aiguille, M. Benaziez a parlé de l’itinéraire suivi par les Amrouche, à savoir de leur vie à Ighil-Ali, de leur départ en Tunisie, de leur retour à Ighil-Ali et, enfin, du départ de Fadhma Nath-Mansour et de ses deux enfants survivants (Taos et El Mouhoub) vers la France.

C’est ainsi que le conférencier apprit à l’assistance que les Amrouche ont fait la rencontre du catholicisme. « En effet, dit-il, Belkacem a été récupéré par les Pères blancs alors qu’il n’avait que 05 ans. En décidant de lui assurer une instruction, ils ont décidé aussi de lui donner un prénom chrétien : Antoine ». C’est ainsi qu’en épousant Fadhma Ath-Mansour, elle aussi chrétienne depuis l’âge de 3 ans, leurs enfants étaient nés alors d’office chrétiens. Le malheur de la famille Amrouche provient sans doute également du statut particulier de Fadhma Nath-Mansour.

En effet, cette dame, décédée en 1967 en Bretagne (France), à l’âge de 85 ans, est une enfant naturelle. Sa mère, jeune veuve et très belle, a eu une liaison amoureuse avec un beau jeune homme de son entourage d’où sa naissance. Par peur de représailles, le père n’a pas voulu assumer sa paternité.

Nous recommandons vivement à nos lecteurs le livre de Fadhma Nath-Mansour intitulé :Le Roman de ma vie qu’elle écrivit en 1946, mais qui n’a été édité qu’après le décès de son mari.

Quant au troisième conférencier, il a su mettre en avant le grand mérite et la grande compétence de Taos Amrouche à sauver les histoires et les contes kabyles qui ne relevaient à cette époque que de l’oralité en les traduisant au français. Pour réussir cela, il fallait maîtriser à la perfection la langue française.

En effet, même traduit en français, les contes kabyles ont gardé leur âme et leur profondeur. S’agissant du débat général, plusieurs questions ont été posées par l’assistance dont celle relative à l’engagement politique de Taos Amrouche après l’indépendance de l’Algérie notamment concernant la question culturelle kabyle. La réponse a été apportée par Mme Amhis et M. Aziri. Celui-ci a rappelé qu’effectivement Taos Amrouche a participé à la création de l’Académie berbère en 1966 à Paris. « C’est elle-même qui offrit l’espace de son domicile pour abriter les réunions des militants berbères ». Mme Amhis complète la réponse en précisant que suite au refus des autorités algériennes de faire participer Taos Amrouche au festival panafricain tenu à Alger en 1969, elle décida d’organiser une conférence à l’Université de Ben Aknoun où elle avertit l’assistance, fort nombreuse, de ne pas tomber dans le piège de leur propre colonialisme. Le combat pour la reconnaissance de la culture et la langue kabyle de Taos Amrouche n’est un secret pour personne.

L’après-midi de cette journée d’étude sur la famille Amrouche était consacrée à la tenue de deux autres conférences-débat. La première, animée par Mme Mammeria Zoubeida, universitaire spécialisée en littérature et cadre au ministère algérien de la Culture, était intitulée « l’œuvre et la vie de Jean El Mouhoub Amrouche ».

La seconde, intitulée : « la Misère et la souffrance dans l’œuvre de la famille Amrouche », devait être animée par M. Sid-Ahmed Yacine, anthropologue et journaliste à la chaîne 3 de la radio algériennes.

Addenda :

Portrait des Amrouche :

Fadhma Ath Mansour : Elle naquit à Tizi-Hibel (village natal aussi de l’écrivain Mouloud Feraoun et relevant de la commune d’Ath-Douala) en 1882 et mourut en Bretagne (France) en 1967. Son père refusant de la reconnaître, sa mère la confia aux religieuses chrétiennes des Ouadhias qui l’élevèrent et la convertirent. Elle épousa en 1899 Belkacem Amrouche, originaire du village Ighil-Ali (Béjaia) et également chrétien et à qui elle donna plusieurs enfants, mais trois seulement ont survécu. Il s’agit de Jean El Mouhoub, René et Taos.

Après la naissance de Jean El Mouhoub, la famille émigre en Tunisie et s’installe à Tunis, et avec des allers et retours en Kabylie. En 1956, Fadhma et son mari Belkacem reviennent en Kabylie (Ighil-Ali). Après la mort de son mari en 1959, Fadhma part en France et s’installe chez ses enfants. Elle habite surtout chez Taos. C’est elle qui initie Jean El Mouhoub et Taos à la poésie et aux chants kabyles. Elle les incite aussi à les transcrire et à les traduire. Fadhma Nath-Mansour raconta sa vie dans son ouvrage très émouvant : « Histoire de ma vie ».

Taos Amrouche : Elle est née à Tunis le 4 mars 1913 et est décédée le 2 avril 1976 à Saint-Michel (l’Observatoire près de Paris). Fille de fadhma Ath Mansour et de Belkacem Amrouche. Elle obtient un brevet d’études supérieures à Paris où elle comptait préparer d’autres études. Elle entreprend des collectes des chants populaires kabyles dès l’année 1936. Taos obtient une bourse d’étude qui la conduira à la Casa Velasquez à Madrid où elle étudiera pendant deux ans. Elle entamera ses activités radiophoniques aussi bien à Tunis qu’Alger à partir de 1942. Après son mariage avec le célèbre peintre Bourdil, elle s’installera définitivement à Paris, et ce, dès la fin du second conflit mondial (1945). En 1949, elle animera des émissions radiophoniques intitulées : « Chants sauvés de l’oubli ». Et de 1957 à 1963, deux autres émissions intitulées : « Sauvons-nous du pays » et « l’Étoile de Chance » . Même après son divorce avec Bourdil, Taos poursuivra sa carrière artistique en enregistrant plusieurs disques dont Chants de l’Atlas, Traditions millénaires des Berbères d’Algérie, Chants berbères de la meule et du berceau.

Jean El Mouhoub Amrouche : Il est né le 7 février 6906 à Ighil-Ali (Béjaia) et est décédé le I6 avril I962 à Paris. Il fit des études secondaires au collège Alaoui puis s’inscrivit à l’école normale de saint Cloud (Paris) où il fut reçu. Il enseigna à Sousse, Bône (Annaba) et Tunis. C’est son ami Arnaud Guillet qui l’aida à publier en I933 son premier recueil de poésie intitulé : Cendres. En 1937, il fit publier un second intitulé : Étoile secrète. Il collabora également aux Cahiers de Barbarie et d’autres magasines et revues publiées en Tunisie et au Maroc.

Parallèlement à cela, Jean El Mouhoub Amrouche donnait des conférences au cercle de l’Essor de Tunis. En I939, il fit paraître Chants Berbères de Kabylie. C’est un nouveau recueil de poèmes. L’année suivante, soit en I958, il est nommé rédacteur en chef du journal parlé de la Radio-Télévision Française (RTF). L’année suivante encore (I959), il anima une émission hebdomadaire intitulée : « des idées et des hommes ».

Déchiré entre la culture française et ses racines algériennes, Jean El Mouhoub Amrouche finit par opter la cause nationale. Il se proposa comme intermédiaire entre le général Charles de Gaulle et Ferhat Abbas. À la même époque, il mit en chantier plusieurs œuvres littéraires comme Orphée en Barbarie, la mort d’Akli, etc. Ces écrits seront publiés en Tunisie, en Algérie et en France.

Ses œuvres littéraires comme ses études révèlent en Jean El Mouhoub Amrouche un homme sensible, pris en étau entre deux cultures d’où sa constante quête d’identité.

Éternel JugurthaLe Tombeau de Jugurtha sont des œuvres publiées dans la revue culturelle l’Arche. À travers l’écrit paru dans le journal Le Monde du II janvier février I958 intitulé : « la France comme mythe et comme réalité », Jean El Mouhoub Amrouche défend ouvertement l’indépendance de l’Algérie.

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