Meksa grand format
Mémoire revisitée ou la genèse d’un succès posthume

Depuis la mort du chanteur, le 30 octobre 1988, le succès de ses chansons ne cesse de grandir. Un succès posthume des plus incroyables, suscité par la découverte de l’artiste hors du commun qu’il était. Immortel par ses œuvres, Meksa est devenu, au fil des années un modèle d’artiste accompli et une figure incontournable du combat identitaire kabyle. Pour apprécier son talent, son génie et son engagement, il fallait du temps et de l’écoute.

Que dire de Meksa qui n’ait été dit ?

Depuis la mort du chanteur, le 30 octobre 1988, le succès de ses chansons ne cesse de grandir. Un succès posthume des plus incroyables, suscité par la découverte de l’artiste hors du commun qu’il était. Immortel par ses œuvres, Meksa est devenu, au fil des années un modèle d’artiste accompli et une figure incontournable du combat identitaire kabyle. Pour apprécier son talent, son génie et son engagement, il fallait du temps et de l’écoute.

Tout commence à Alger, au début des années 70

La chape de plomb, imposée par le règne de Boumédienne, sur toute expression de la culture kabyle et sa reconnaissance en tant que socle historique et civilisationnel de l’Algérie, pousse certains milieux universitaires au combat de cet arbitraire politique. A ces milieux de jeunes intellectuels naissants, s’agrègent de jeunes artistes (Méziane Rachid, Inasliyen, Issoulas…) portés par le même élan, le même idéal qui est celui de redonner vie à cette culture kabyle vouée à une disparition certaine. Et Meksa était l’un des pionniers de ce mouvement artistique né dans l’algérois.

Le besoin de s’affirmer dans sa langue originelle, d’exister en tant que soi, propulse Meksa vers la chanson, domaine pour lequel il avait déjà des prédispositions artistiques affirmées. Par ailleurs, la chanson était le seul mode d’expression implicite du combat identitaire, où le message passe subtilement entre les filets de la répression étatique.

Une rencontre était déterminante  dans la (brève) carrière de Meksa, celle d’avec le poète, Moh Cherbi, devenu son principal parolier, et qui, à l’époque, était étudiant en médecine à la fac centrale d’Alger. « La chanson, nous rappelle Moh Cherbi, était la seule tribune politique, le substitut de la presse… Bref, le seul moyen de communication qui permettait d’éveiller les consciences.»  

A Alger, les centres culturels foisonnent. Lieux d’échanges et de connaissance de l’autre, mais aussi sources de questionnement et de réflexion sur sa propre culture au milieu de ce concert de cultures étrangères. Meksa y affute sa conscience, puise dans différents genres musicaux des inspirations qui contribueront à la création de son propre genre musical. Une gestation féconde au vu de la qualité et de l’originalité qui caractériseront son œuvre.

Une révolution poétique et musicale

En effet, le chant de Meksa est innovateur aussi bien dans le fond que dans la forme, au sens où, une certaine rupture a été opérée par rapport à la configuration traditionnelle du chant kabyle d’avant les années 70.
La chanson kabyle ancienne se caractérisait, généralement, par des textes louant les valeurs morales (l’honneur, la dignité, la virilité…), les fêtes, les rituels…  soutenus par une musique plus ou moins orientalisée.
« Avec Meksa, nous confie Moh Mherbi, une esthétique nouvelle émerge et s’impose sous les effets d’une thématique et de sonorités modernes, vecteurs indispensables  au renouveau de la chanson kabyle, qui végétait dangereusement. »

L’artiste et le poète conjuguent leur travail. Meksa transcende l’éternelle orchestration, uniformément usitée par les studios de la RTA, en s’investissant dans une recherche musicale harmonieuse, privilégiant, cependant, l’instrumentation acoustique aux sons électriques. Dans tout son répertoire, nulle utilisation de la derbouka. Moh Cherbi lui fournit l’essentiel des paroles, issues d’une poésie de combat. Dans ses poèmes, nulle référence à la religion. Le ton est donné : la chanson de Meksa éclate dans sa conception moderne, enchanteresse et révolutionnaire. Son succès était tel qu’il remplissait toutes les salles des fêtes d’Alger. « Des salles qui travaillaient à guichets fermés, grâce à lui et aux quelques groupes de la chanson moderne kabyle de l’époque », nous dit Moh Cherbi.

Meksa par les textes

Le premier texte qu’il a mis en musique s’intitule Tajellibt (la caravane). Il raconte un peu la vie culturelle des amazighs du Hoggar. Meksa l’a très vite adopté, car il était fasciné par la portée didactique qui l’imprègne.

« Le texte, nous explique Moh Cherbi, parle de l’existence et de la vie du berbère dans une aire géographique au-delà de la Kabylie, le Hoggar. C’est une région mythique où a régné Tin Hinan. Pour Meksa c’est une façon de témoigner non seulement de la richesse orale de cette langue, mais aussi de son écriture (Tifinagh) millénaire toujours vivante. »

Ce texte avait aussi pour Meksa une dimension très symbolique : la fierté que ce soit toujours le Kabyle qui parle des autres branches berbérophones, et qui les revendique dans le temps et dans l’Histoire.

Puis suivit un chapelet d’autres textes, tous aussi éloquents les uns les autres, ciselés dans une poétique où le manifeste du sens interpelle, appelle à une revendication de la reconnaissance de tout un patrimoine vivant, expression d’une culture, d’un peuple tout aussi vivants.

La diversité des thèmes mis en musique, à les écouter attentivement, procède d’une recherche sélective en fonction de l’impact de l’événement, par sa pratique ou sa célébration, dans la vie sociale. A cet effet, la symbiose entre l’artiste, Meksa, et le poète, Moh Cherbi, est extraordinaire dans la mesure où l’élaboration textuelle et son support musical donnent vie, dans chaque composition, à un chant intensément harmonieux. La complicité entre les deux créateurs ne pouvait donner que les chefs-d’œuvre qu’on connait.

De Massinissa à Loundja en passant par Anzar anzar et autres titres, tous aussi prodigieux et accrocheurs, l’œuvre de Abdelkader Meksa s’inscrit incontestablement dans le gotha des classiques de la chanson moderne kabyle.

Ahcène Bélarbi

Source: kabyle.com

Tag(s) : #Actualité
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