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Sabrina, Ryma, Massy et Fatah sont ce que l’on appelle de nos jours des jeunes hyper branchés. Ils sont lycéens à Béjaia, ils ont bien voulu partager avec nous leurs rêves de jeunesse.

Parmi d’autres jeunes filles et garçons que nous avons approchés, nombreux sont qui, comme eux, veulent devenir une star, gagner beaucoup d’argent, conduire de grosses voitures, obtenir des relations prestigieuses à moindre effort.

Le monde des people leur est familier et ils sont très au courant de l’actualité des stars. Ils vous diront tout par exemple de Sophie Marceau, Mars Melissa, Madonna, Mc Solar, Assia, Milot Laetitia, Ilona Mitrecey, Kylie Minogue et bien d’autres stars internationales qui font rêver les jeunes du monde entier. Et à propos des stars de chez nous ? «Bien sûr que nous les admirons et nous sommes naturellement des consommateurs de notre culture locale, c’est le socle même de notre identité mais malheureusement nous ne connaissons pas grand-chose de nos stars vu que chez nous les magazines people se comptent sur les doigts d’une main, les médias nationaux n’accordent pas assez d’importance à l’info des célébrités et, par-dessus tout marché, la plupart de nos artistes nationaux n’aiment pas faire l’étalage de leurs choses personnelles en public, en revanche les people ailleurs on connaît même le nom de leur chat ou de leur chien», dit Fatah.

Outre les stars transnationales, parmi les stars algériennes de la chanson que les jeunes mélomanes que nous avons approchés ont citées comme leurs idoles, on retrouve, entre autres, Takfarinas, Les Abranis, Farid Ferragui, Amour Abdenour, Brahim Tayeb, Hassen Ahres, Lani Rabah, Malika Domrane, Yasmina, Rabah Asma, Ali Amran, Zimu, Cheikh Sidi Bémol, Gnawa, Djamel Laroussi, Souad Massi, Mohamed Allaoua, et j’en passe. Mais, un nom d’un artiste immense est sur toutes les lèvres : le chantre de la chanson kabyle : Lounes Matoub.

Rien n’échappe à ces jeunes, ils connaissent par cœur la biographie de leur artiste préféré, le nombre de CD qu’il a vendus, les textes de ses chansons, ses relations amoureuses et amicales, son comportement vestimentaire, sa dernière coupe de cheveux, le poids de son compte en banque, et j’en passe. Avec le boom des chaînes de télévision, ces fans ont accès à ce type d’informations qu’ils consomment souvent sans modération. En outre, ils n’hésitent pas à surfer sur le web à la recherche de nouvelles sur leurs stars préférées et certains vont jusqu’à créer des blogs et sites web dédiés à leurs idoles pour surtout avoir des contacts avec d’autres fans à travers le monde. L’expérience de quelques-uns, à l’image de Sabrina, paraît fructueuse. «J’ai écrit un email à mon idole, M. Poakora, il m’a répondu, c’était le plus beau jour de ma vie ! Aujourd’hui, grâce à mon blog, beaucoup de fans m’envoient régulièrement des emails et des lettres de par le monde et on s’échange des vidéos, des photos inédites de notre star, c’est génial ! », nous dit-elle tout feu tout flamme.

Il est vrai que devenir une star est le rêve de quasiment tous les jeunes d’aujourd’hui, aux quatre coins du globe. Nous tenterons ici d’apporter une contribution pour comprendre comment les jeunes de chez nous vivent avec ce rêve qui, au risque de le répéter, façonne profondément leur comportement et leur mode de vie.

En effet, la représentation mythique que se font ces jeunes gens de leurs idoles est telle qu’ils s’identifient totalement à elles. Ils s’habillent comme leurs artistes préférés, ils parlent comme eux, ils imitent leurs démarches, ils veulent tout simplement devenir comme eux. «Au fait, on oublie fréquemment que pour devenir quelqu’un il faut d’abord être soi-même », fait remarquer Hamid, enseignant de comptabilité. Il enchaîne : «ces jeunes ressentent une impression d’être meilleur, de voir des choses que les autres ne voient pas si bien que la cour de leur lycée leur parait trop petite, il veulent élargir leurs horizons, ils croient que devenir une célébrité leur permet de réaliser ce vœu ».

Massy, élève en deuxième année secondaire, s’exprimant à la manière des rappeurs et paraissant s’y connaître en musique, nous fait part de son rêve le plus cher : «Je souhaite devenir une star par n'importe quel moyen car je suis convaincu que je suis fait pour ça. Je peux chanter, danser, faire rire ou pleurer. J’adore le rock’n’roll surtout, mais aussi la pop, le rap, le hip hop, la soul, le pop-rock, le blues, le jazz, le hard-rock ou même métal. J’écoute beaucoup de chanteurs nationaux et étrangers. La musique, c’est vital pour moi. Je rêve d’avoir de nombreux fans et sortir du lot». Il ajoute : «Mais avant cela, je dois obtenir mon bac pour faire des études en musique à l’université, de plus, seule une bonne instruction peut me permettre d’aller à la conquête de ce monde magique».

Ryma, sa camarade de classe, réplique en ironisant: «A quoi bon faire des études !? Les plus grandes stars sont de vrais branleurs ! Ils ont cru en leur rêve et ils y sont parvenus, c’est tout». Pour étayer ses dires, elle s’inspire des exemples de célébrités qu’elle connaît visiblement bien. «C’est le rêve qui nous mène à la réalité», soutient-t-elle. Pour Sabrina, la formule est simple : « pour que le public découvre la star qu’on est, il faudrait d’abord qu’on soit une "star" dans sa tête, croire en ses capacités ; les producteurs de télévision, à titre d’exemple, ne voient en vous que l’image que vous vous donnez de vous-même, je crois que c’est seulement ainsi que fonctionnent les choses dans cette univers-là». Cela dit, selon elle, « la contrainte est que, cela n’est pas toujours évident chez nous pour des raisons multiples car nous ne sommes pas encore offert les moyens d’une vraie culture people ou peut-être que cela dérange les gardiens du Temple».

Le sujet semble passionner d’autres jeunes lycéens qui se joignent à nous et chacun tente de mettre un mot dans une discussion qui s’annonce polémique. Nos interlocuteurs reprochent notamment aux responsables à tous les niveaux de ne pas prendre en compte leurs aspirations. "Nous vivons dans un autre monde, ils (les responsables, NDLR) ne nous connaissent pas vraiment et donc ils ne nous comprennent pas. Pour cause, nos villes sont dénudées d’infrastructures devant permettre aux jeunes d’exprimer leur talent, pas d’écoles de chant et de musique, pas d’émissions télévisées consacrées aux futures stars, rien!», se désole Massy avant de lâcher : « au lieu de partir ailleurs pour réaliser mes rêves, je me demande pourquoi dans mon pays on ne peut pas les prendre en charge ». D’après lui : «autrefois, on devient chanteur en grattant les fils de sa mandoline et en chantant tout seul, chez soi, du matin au soir, sans presque aucune aide, aujourd’hui les choses ne fonctionnent plus de cette façon et devenir un chanteur requiert désormais beaucoup de moyens que le jeune artiste seul ne peut pas toujours avoir».

Dans la foulée, Sabrina fixe le ciel d’un regard songeur et dit en soupirant : « ah ! Si seulement j’avais la chance d’être une star !».

Il faut dire que la fièvre des people s’empare pratiquement des jeunes de tous les âges, ce qui d’ailleurs fait dire à cette vieille dame que nous avons rencontrée dans une librairie : « Ah ! Dites à cette bande de gamins et de gamines de faire plutôt des études à la place de rêver pour rien ! Certains d’entre eux rêvent d’être des stars de la chanson alors qu’ils n’ont même pas une belle voix, d’autres veulent devenir des top models alors qu’elles ne mesurent même pas 1 mètre 70 ! Ils perdent leur temps et leur vie à rêver de l’impossible ».

A la question pourquoi ces jeunes veulent, hormis le fait de gagner de l’argent, devenir des artistes célèbres, nous retenons la réponse de Fatah : « j’ai des choses à dire, j’ai envie de les dire parce que je sais qu’il y a des gens qui ont envie de les écouter ».

Enfin, dans tous les cas de figure, bien des artistes ont pu devenir des stars en partant de rien et ces jeunes croient dur comme fer qu’un jour ils y parviendront. Pour eux, rien et personne ne pourra les décourager. Bien que le chemin soit souvent long et difficile, ils pensent qu’en sachant écouter son cœur et en travaillant d’arrache-pied, ils pourront réaliser leur rêve.

Par Karim Kherbouche

Tag(s) : #Reportage- Enquête
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